../s3_ae.gif Mai 1940. La guerre, vue depuis la casemate CORF de la Drève_de_Saint_Antoine (SF_Escaut)
Dossier réalisé grâce, entre autres, au document historique aimablement fournis par M. Lenne_Xavier ainsi qu'aux photographes que nous remercions vivement. Cima_E_R ©2003-2021.

Mai 1940. SF_Escaut.
Casemate de la Drève_de_St_Antoine.
Forêt de Raismes.

Avant-propos

Avant-propos

Dans ce document nous vous présentons le rapport du lieutenant Batigny_Gaston, du 54e_RIF, qui, en mai 1940, commandait la casemate CORF n°C6, dite casemate de la Drève_de_Saint_Antoine (SF_Escaut, lisière de la forêt de Raismes_).

Ce rapport relatant les combats de la casemate entre le 10 mai et le 26 mai 1940, était détenu par une personne de notre connaissance, M. Lenne_Xavier, qui nous en a remis une copie pour publication sur notre site (*)C'est ce que nous avons fait en 2003, avec améliorations successives de la présentation et du dossier depuis lors.
Par la suite, Lenne_Xavier nous a dit avoir fait don du rapport au Service Historique de la Défense.
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Présentation

Présentation

Fortification de la forêt de Raismes_

À l'origine, lors de la conception de la Ligne Maginot, il avait été prévu de n'édifier que quelques zones fortifiées très puissantes, avec artillerie (telle la région fortifiée de Metz), et quelques aménagements locaux d'infanterie de replis (telle la lisière de la forêt de Raismes_, près de Valenciennes, avec ses 12 casemates CORF). Ensuite, à partir de 1934... mais c'est une autre histoire !

La casemate de la Drève de Saint_Antoine

Casemate CORF, à double flanquement (tirs vers le Sud-Est et vers le Nord-Ouest) et à un seul niveau, construite à partir de 1931.

En mai 1940, certains de ses organes sont en cours d'amélioration mais... malheureusement non encore fonctionnels lors de l'attaque allemande !


Flanquement Sud-Est sous béton :
un JM/AC47 et un JM.
Photo Truttmann_Michel 1977.

La façade d'entrée est sur la gauche de la photo.


Façade d'entrée de la casemate.
Photo Perouffe_Alain 2011.



Flanquement Nord-Ouest sous béton : un JM/AC47.
Photo Truttmann_Michel 1977.


Le flanquement Nord-Ouest sous béton.
Photo Perouffe_Alain 2011.



Flanquement Nord-Ouest sous cloche : une cloche JM transformée en cloche AM, non fonctionnelle en 1940.
Photo Truttmann_Michel 1977.


La cloche JM transformée en cloche AM.
Photo Perouffe_Alain 2011.



Observation et défense des dessus : une GFM type A transformée en type B. En 1940, elle était sans son équipement en diascopes d'observation et sans munitions pour son mortier de 50mm.
Photo Perouffe_Alain 2011.

La casemate en 2021

Évolution entre 2011 et 2021.
En 2011, la casemate était occupée par un squatteur qui entretenait ses abords. Depuis, la casemate a été murée, le squatteur est parti et... l'herbe a poussé !


Le flanquement Sud-Est en 2011.
Photo Perouffe_Alain 2011.


Le même flanquement Sud-Est en 2021.
Photo Villars_François 2021.


Rapport

Rapport du lieutenant Batigny_

Intérêts du rapport du lieutenant Batigny_Gaston

Outre son intérêt historique, ce rapport met l'accent sur deux points :

Et maintenant, place au rapport du lieutenant Batigny_...

Charte graphique pour les textes qui suivent.
Typographie utilisée pour repérer les écrits de Batigny_Gaston.


Rapport du lieutenant Batigny_

Rapport du Lt Batigny_
10-15 mai 1940

Du 10 au 15 mai 1940

Le contexte

10 mai 1940. Les Allemands envahissent les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg.

Comme prévu, les Français exécutent alors leur « plan Dyle_Breda ». Ils entrent donc en Belgique et foncent vers les Pays-Bas. Mais... l'attaque allemande, par le massif des Ardennes (Ouest du Luxembourg - Sud-Est de la Belgique), n'avait pas été sérieusement envisagée par les Français ! Cette zone, peu défendue par eux, est alors balayée en quelques jours et ouvre, béante, une porte vers la France.

Les Allemands en profitent pour s'y engoufrer. Ils contournent alors les fortifications frontalières françaises, face à la Belgique, et se dirigent vers la Mer_du_Nord afin de couper de ses bases arrière le gros de l'armée française déjà engagée en Belgique.


Casemate de la Drève de Saint_Antoine

L'ordre d'alerte nous étant parvenu, les soldats abandonnèrent leurs entraînements et regagnèrent la casemate qui est organisée immédiatement sur le pied de guerre à trois tours. Les cuisiniers demeureront quelques jours encore à l'emplacement de la cuisine à l'intersection des routes d'Odomez_ à Saint_Amand et de Bruille_Saint_Amand à la Drève_St_Antoine. Un poste de circulation fonctionne au même emplacement sous mes ordres avec un FM en DCA.

À la casemate on procède à la mise en place, dégraissage, etc. de tout le matériel, un FM en DCA fonctionne. Les convois de Belges défilent sans interruption sur la route survolée assez souvent par des appareils ennemis. Nous sommes mitraillés à plusieurs reprises sans accidents.

Presque tous les soirs, à 18h, nous recevons un chapelet de bombes et parmi celles-ci une bombe de gros calibres. Ces bombes tombent dans les environs immédiats de la casemate et sans dommages. Les hommes sont néanmoins surpris de ces attaques sans contreparties.

Problème avec le déploiement de certaines troupes

Des troupes occupent les intervalles entre les casemates, mais je dois me déplacer fréquemment en compagnies du soldat Vanwassenliore_ Raymond, volontaire permanent pour ces sorties, afin d'aller prendre contact avec les officiers commandant les troupes d'intervalle, car ceux-ci s'obstinent :

-1° à ne pas comprendre qu'ils doivent nous protéger d'attaques frontales puisque nous n'avons aucun moyen de feu dans cette direction, sauf le FM de cloche.

-2° à placer des nids de mitrailleuses ou de FM devant le fossé antichar, c'est à dire au beau milieu des champs de tirs de la casemate.

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Vue (2012) vers l'Escaut et la frontière belge, depuis la position du périscope de la GFM de la Drève_St_Antoine.

Au cours de ces reconnaissances poursuivies parfois vers la ligne intermédiaire en vue d'obtenir les renseignements qui me font défauts, nous passons dans des zones dangereuses, mais sans encombre, sauf une chute que je fais dans des barbelés, me blessant assez profondément à l'avant-bras droit, seules les chairs sont déchirées, c'est donc sans importance.

Nous devons aller chercher un ravitaillement réduit à la casemate du Lièvre_, à 1h20 de nous (clic : +/- note)La distance entre la Drève_Saint_Antoine et les deux casemates du Lièvre_ (au Sud-Est de celle de la Drève) est d'un peu moins de 2km. Donc 1h20 doit correspondre à un aller-retour. Du début à la fin, ce service sera assuré par des volontaires que je me plais à citer, car ils furent en toutes circonstances au-dessus de tout éloge ; le sergent Lucien_Debail et les seconde classe Paul_Dupuis et Jules_Bribaut.


16 mai 1940

16-18 mai 1940

Les Allemands, passés en France par le Sud-Est de la Belgique (entre autres par la percée de Sedan_ et l'Est d'Avesnes_sur_Helpes), avancent plein Ouest (sous le SF de Maubeuge, voisin de celui de l'Escaut) en direction de la Mer_du_Nord.

Les troupes françaises du « plan Dyle_Breda » redescendent alors de la Belgique, à marche forcée, vers les SF du Nord-Ouest de la France (Flandres_ Lille_ Escaut_ et Maubeuge).

Combats de chars dans la région d'Avesnes_sur_Helpes

Comme, dans son prochain paragraphe, le lieutenant Batigny_ va évoquer des combats à Avesnes_sur_Helpes, devançons-le en en disant quelques mots ici.

La 7e Panzerdivision (division blindée allemande commandée par le général Erwin_Rommel), arrive près d'Avesnes_ le 16 mai 1940.

Le 25e_BCC (Bataillon français de Chars de Combats équipé de chars Hotchkiss_39 -photo ci-dessous-) fait alors face à certains blindés allemands qui mettent hors de combat une grande partie de son armement.

Rommel_ poursuit sa route et passe le 18 mai dans Avesnes_ où une contrattaque française aérienne et au sol tente en vain de l'arrêter.



Photo d'époque affichée avec autorisation de l'auteur du blog chris59132.canalblog.com (pseudonyme de cet auteur : Chrisnord_Trelon) qui précise qu'il s'agit d'un char français Hotchkiss H39 mis hors de combat à Avesnes_sur_Helpe.


Pour justifier la position du char précédent, Chrisnord_Trelon ajoute cette photo, avec la légende : « Voici la photo prise au même endroit 70 ans plus tard. Rien n'a changé. »


Suite du rapport du lieutenant Batigny_

Vers le 17 mai, en vue d'une contrattaque du « groupement Bouillet_ » sur Avesnes_sur_Helpes, partent quatre 2ème classe : les soldats Albert_Menu, André_Dumont, Joseph_Chanpy et Jean_Arcus.

Les 4 hommes partent avec 3 FM et 16 boites chargeurs pleines par FM. Ces armes me feront le plus grand défaut par la suite, car ces 4 hommes ne rentreront pas à la casemate ; sur l'état nominatif, je les porte comme disparus.

Durant cette période mon effort se poursuit, surtout remettre les hommes en possession de leurs moyens, car beaucoup ne mangent plus. Ils sont affolés par le bruit des éclatements et sous le coup d'une dépression nerveuse. Ils tressaillent à chaque éclatement, qui se ressent d'ailleurs fortement dans la casemate et empêche à peu près tout sommeil. J'ai beaucoup de mal à les persuader de la solidité de la casemate, ils persistent à voir des fissures partout, alors qu'un nombre infime de coups atteint l'ouvrage.

À vrai dire, les journées et les nuits sont longues, on attend dans une sorte de fièvre, car nous recevons des coups sans pouvoir les rendre, ce qui exaspère évidemment.

D'autre part, les hommes n'ignorent pas qu'il nous est impossible de nous servir de l'arme mixte sous cloche (jumelage Reibel et canon de 25 court, posé courant mars, avril 1940) [...]


Photo Villars_François. 2021.
cloche JM (action vers le Nord-Ouest) transformée en AM antichars peu avant mai 1940 (JM remplacé par un trumelage JM_AC25) mais... pas encore fonctionnel en mai 1940 !

[...] que nous n'avons aucune munition pour le mortier de 50 (malgré mes multiples réclamations) et que nos moyens d'observations sont limités au périscope de cloche, les épiscopes n'ayant jamais été remplacés par des diascopes plusieurs fois annoncés.


Photo : la cloche GFM type « A » est transformée en cloche GFM type « B », aux créneaux plus résistants que ceux de la « A ». Mais le nouvel équipement intérieur de la cloche n'est pas encore totalement utilisable en mai 1940 !


Enfin les hommes se sentent isolés, car ils ne perdent aucune des fautes des troupes d'intervalle et finissent par les considérer comme inutiles, ils n'ont aucune confiance en elles. On ne voit aucun avion allié et sauf un groupe de mortiers, on n'entend aucun coup de départ d'artillerie amie. Enfin il y a la frousse de la 5e colonne qui ne passe pas.

Notons que le stator d'un diesel a été enlevé et que, de ce fait, j'ai un moteur inutilisable.

Le courant est dur à remonter, mais j'y arrive et l'atmosphère est un peu détendue et confiante vers le 18 mai.

L'atmosphère aurait été sans doute moins « détendue » si l'équipage avait su précisément où étaient alors les Allemands !

Clic pour afficher/effacer la ligne de front (en rouge) au soir du 18 mai et constater que les Allemands sont aux portes du SF de l'Escaut !


19 mai 1940

19 mai 1940

Ce 19 mai, ordre est donné à la population d'Odomez_ (face à la casemate de la Drève_Saint_Antoine) d'évacuer le village. Le flot des réfugiés part donc vers le Nord-Ouest et gagne la région de Lille.


Ce même 19 mai, arrive dans le SF_Escaut, entre autres le 43e_RI français.
Pendant la « drôle de guerre », ce 43e_RI est stationné dans l’Oise. Avec l'opération Dyle_Breda il est ensuite envoyé en Belgique d'où il doit battre aussitôt en retraite avec ordre de combattre dans le SF_Escaut.
Il s'y installe le 19 mai, en avant de la forêt de Raismes.

D'après divers documents, son Colonel est alors effaré par la faible consistance et l'état inachevé des blockhaus de ce qu'on lui avait annoncé comme étant un « secteur fortifié ».

Il « fera avec » et les utilisera au cours des combats qui s'en suivront jusqu'au 26 mai, date à laquelle son unité aura ordre de reculer en direction de Lille_ puis de Dunkerque_, non sans avoir subi de lourdes pertes humaines.


Photo du site http://www.agglo-porteduhainaut.fr.

Restes du blockhaus de la Tour_du_Moulin construit sur un ancien moulin, à Bruille_Saint_Amand, en avant de la Drève_Saint_Antoine. Il est maintenant transformé en mémorial dédié au 43e_RI.

Il était armé de deux canons antichars de 25mm et d'une mitrailleuse.

Sa hauteur lui permettait de pouvoir observer les alentours.
Mais, comme on peut s'en douter, il ne pouvait pas non plus échapper aux observateurs ennemis et fut donc la cible de l'artillerie Allemande.


Suite du rapport du lieutenant Batigny_

Le 19 mai, j'observe des éclatements beaucoup plus fréquents, les obus passent en général au-dessus de nous et éclatent à 100, 150 mètres dans le sous-bois. Quelques coups courts tombent aux alentours de la casemate, mais sans dommages. Quelques arbres commencent à être décapités et l'on voit au loin les toitures voler en éclats.

La zone devient de plus en plus dangereuse. Nous subissons des bombardements incessants tant par l'artillerie que par l'aviation.

L'avion de reconnaissance allumant et survolant en quasi-permanence, nos sorties à l'extérieur sont immédiatement signalées et tous les parcours sont arrosés de projectiles.


20-21 mai 1940

20-21 mai 1940

20 mai. Installation, sous les bombes allemandes, des Unités nouvellement arrivées.

21 mai. Les Allemands, sur la rive droite de l'Escaut_, exécutent plusieurs travaux de franchissement du fleuve. L'artillerie française, entre autres du fort de Maulde_, ne réussit qu'à ralentir ces travaux d'autant plus que l'artillerie allemande monte en intensité.

Les ravitailleurs partent chaque matin sans défaillance. Les troupes d'intervalle s'obstinant à se placer devant le fossé antichars, je dois sortir à plusieurs reprises durant les journées 19, 20, 21 mai.

Clic pour afficher/effacer la ligne de front (en rouge) :

-au soir du 21 mai.

-au soir du 18 mai.


22 mai 1940

22 mai 1940

Dès l'aube, l'artillerie allemande reprend ses tirs de préparation. Sont visés tous les blocs et organes de défense.

Côté français, les pertes humaines sont conséquentes.

Ma dernière sortie eut lieu le 22 mai et sera fatale au soldat Vanwassenliore qui m'accompagne toujours comme volontaire

Ce 22 mai, la journée débute par un violent bombardement, puis le calme se rétablit, les éclatements sont plus lointains, les ravitailleurs partent comme à l'ordinaire. Leur sortie est saluée à quelques minutes d'intervalles par une pluie de mitrailles, je note également et pour la première fois l'éclatement d'obus fusants.

La présence de l'ennemi se fait sentir plus durement, mais aucun renseignement ne peut être obtenu par téléphone monté sur câble aérien léger qui fonctionne par intermittence. Le lieutenant Gallion semble peu au courant de ce qui se passe dans notre coin, de plus, son P.C a été déplacé à l'Etoile de Cernay, mais son emplacement non reconnu par mes hommes, j'évite à tous prix d'envoyer des coureurs, car mon effectif est loin d'être complet, nous sommes maintenant 24 sur un effectif prévu de 40 et j'ai peur de nouvelles pertes.

Les renseignements que je possède proviennent :

-D'une part de mes conversations avec les troupes d'intervalle, le plus souvent avec des sergents, chef de groupes, car de toutes mes sorties, je n'ai réussi que deux fois à parler à un officier et une seulement, un officier est venu s'entendre avec moi autour de la casemate sur le plan de tir.

-D'autre part : les blessés légers des lignes principales de résistance et intermédiaire qui viennent se faire soigner, et que j'ai un mal infini à faire remonter en ligne. Un poste T.S.F eut été bien nécessaire.

L'après-midi, vers 15 heures, je pars avec le soldat Vanwassenliore en direction de la maison forestière d'Odomez.

L'aller et le retour s'effectuent de façon relativement paisible et lorsque je rejoins la casemate, quelques hommes prennent l'air tout contre la porte. Nous nous arrêtons Vanwassenliore et moi. Lui parle à ses camarades tandis que je me dirige vers les créneaux de la chambre de tir Est, afin de me rendre compte si des dégâts n'ont pas été causés aux cadres extérieurs. [...]


Entrée de la casemate devant laquelle, ce 22 mai 1940, quelques hommes prennent l'air et discutent, avant le drame.
Photo AALMA - Fort de Schoenenbourg (Président Halter_Marc).


[...] J'avais à peine fait quelques pas qu'une explosion formidable retentit, je me sens soulevé de terre, je fais une pirouette en l'air et retombe couché sur le côté. Il me semble avoir été touché au coin de l'épaule, je vois tout noir et ai peine à respirer, j'ai absorbé du CO2. Je sens tomber sur moi une pluie de poussière ainsi que des mottes de terre. Je réagis d'un bloc et sans savoir, je me retrouve dans la casemate.

Je vois immédiatement plusieurs hommes qui saignent. Il y a le soldat Ohiers qui a une plaie au front, le soldat Desmaret, une estafilade à la cuisse.

Le sergent Debail s'apercevant que Vanwassenliore est resté dehors, va le chercher. Il est sans connaissance.

Personnellement, je récupère, mon angoisse au cœur disparaît, j'ai un magnifique bleu à l'épaule, en bref rien d'important. Le soir je m'apercevrai avoir deux coupures assez profondes à l'avant-bras droit et je retrouverai un petit éclat dans ma manche.

Le soldat Vanwassenliore est immédiatement soigné, il porte une énorme plaie le long de la colonne vertébrale, deux plaies au ventre, il a un bras presque sectionné. L'obus ou la bombe a éclaté à 3m20 de lui ! Il reprend connaissance et me demande : « vous irez voir ma femme, me dit-il, tenez jusqu'au bout, jusqu'au bout ! »

Des brancardiers du PSB [Poste de Secours de Bataillon] de St-Amand-les-Eaux viennent le chercher vers 18h00. J'ai su il y a quelques mois, par sa femme, qu'il était mort fin mai à Mouchin.

Excellent soldat, il a donné, de son vivant, exemple de courage et de mépris du danger. J'avertis le Lt Gallion par téléphone ; le soir, le téléphone sera définitivement coupé !

Nous restons à 23 avec deux blessés légers, sans me compter.


J'ai pu interroger les brancardiers, ils me disent que les Allemands sont à l'Escaut et que des éléments avancés l'on franchi. Je n'en parle pas à mes hommes, ils sont trop nerveux et désemparés.


23-25 mai 1940

23-25 mai 1940

23 mai. Dans la nuit les Allemands ont passé l'Escaut au niveau du pont d'Hergnies mais, bien que contenus sur la berge gauche du fleuve, leur tête de pont est bien établie.

24 mai. Les contre-attaques françaises sont sans effet sur la tête de pont allemande renforcée au cours de la nuit. L'infanterie de cette dernière progresse même légèrement, contournant certaines casemates. En fin de journée elle a peu progressé mais tient partiellement le village d'Odomez.

25 mai. Les Allemands attaquent sur tout le front mais ne peuvent déboucher. Cependant, contrairement aux Français, ils reçoivent des relèves qui feront la différence le lendemain !

Les bombardements se font de jour en jour plus précis, les coups de départ des Allemands s'entendent très bien, ils avancent. Je sens cela très nettement le samedi et donne des ordres pour que la garde de nuit soit vigilante. Ma casemate, en effet, est dans un bas fond et la drève St-Antoine est un chemin secondaire extrêmement bien défilé pour quiconque voudrait ne pas passer par la route nationale. Il y a donc des chances pour qu'une attaque se déclenche sur moi à bref délai.


26 mai 1940

26 mai 1940. Assaut final !

Aux premières lueurs du jour les bombardements allemands précèdent l'attaque. Les casemates encore actives sont prises pour cible par des tirs d'embrasure, à bout portant, ou sur leurs arrières et tombent les unes à la suite des autres.

Dès le matin, à 4h30, je suis réveillé par un bombardement formidable qui s'abat sur nous et sur la lisière de la forêt. Rien ne répond et j'ignore que je ne suis plus appuyé dans les intervalles.

Cela dure 1h30 environ, puis calme et nouveau bombardement. Au loin on entend cracher des armes automatiques, mais impossible de déceler leur présence.

Le casse-croûte du matin nous réunit tous sauf le guetteur, j'en profite pour exposer aux hommes notre situation et comment je vois se déclencher une attaque ennemie.

Je les réconforte du mieux que je peux et chacun paraît disposé à faire son devoir.

Vers 10h30 du matin, un coup sec qui se répercute partout provient de la cloche de guet. J'interroge le guetteur qui ne me répond pas, assourdi sans doute. Pendant ce temps, retentissent un second, un troisième, un dixième coup.
Le guetteur récupère, je lui donne ordre d'essayer de déceler l'origine des coups. La tache se révèle assez ardue, car chaque fois que nous élevons le périscope, les coups redoublent et d'autre part, je tiens à le conserver, car c'est mon seul moyen d'observation vers l'avant. La cloche résiste bien et après un moment d'angoisse, les hommes reprennent confiance.

Vers 10h55, le tir assez pressé semble s'effacer, le guetteur me signale des éclairs qui semblent correspondre aux coups reçus, les indications portées sur la carte donnent une distance de 1200 à 1300 mètres.

Mort du guetteur

Un coup frappe encore, suivi d'un heurt violent à l'intérieur de la cloche. Chacun a entendu ce bruit singulier, un grand silence se fait, rompu par de nouveaux coups qui seront les derniers.

Je me précipite dans la cage de montée, le 2eme classe Louis Grard ne répond pas, la trappe est d'ordinaire assez lourde, je demande à un soldat de la soulever, c'est chose impossible, Grard doit être tombé dessus. Nous pensons que la cloche a cédé.

Je fais descendre le plancher mobile, Grard est étendu en arc de cercle, du sang coule de sa bouche, il est mort, complétement fracassé, bras, jambe, colonne vertébrale, menton.

À son côté gît la couronne intérieure de fixation du châssis d'un diascope qui a cédé : cette pièce porte une faille, c'est un vice de fabrication.


La GFM.
Photo AALMA - Fort de Schoenenbourg.

À droite de la couronne extérieure de fixation du diascope (interchangeable avec un FM), on remarque l'impact de l'obus ayant causé la mort du guetteur.


Détail de l'impact sur la GFM.
Photo AALMA - Fort de Schoenenbourg.

Lorsqu'on observe de près la position de l'impact et sa profondeur, il semble à priori que la couronne intérieure de fixation du châssis du diascope ayant cédé, aurait tout de même cédé, vice de fabrication ou pas.

Le FM de cloche qui était fixé dans l'ouverture de ce diascope est rendu inutilisable, je n'ai plus de FM. La cloche est intacte, par contre le périscope est faussé. Je suspends momentanément le service de guet et le remplace par une surveillance aux lunettes de pointage.

Pour le soir et la nuit, j'ai l'intention de faire effectuer le guet dans la cloche de l'arme mixte qui possède aussi un périscope, mais la position est des plus inconfortables avec l'arme mixte qui ne peut être mise en place et le champ d'observation est limité !

Remarque au sujet du périscope de la cloche AM.



Cloche JM transformée en AM.
Photos Villars_François 2021.

Explication de Truttmann_Michel au sujet des deux trous que l'on peut observer sur la partie arrière de cette cloche : « Les cloches JM transformées en AM devaient être équipées de deux périscopes. »
La casemate n'en avait sans doute reçu qu'un seul en 1940.


Les guetteurs aux lunettes me signalent le repli de groupes armés, des blessés évacués vers l'arrière, des chenillettes qui viennent de l'avant. La situation me semble sérieuse, je donne des ordres sévères pour le quart aux lunettes, l'armement est à nouveau vérifié ! La dernière toilette de Grard est achevée, nous l'enterrerons dans la nuit.

À partir de 13h le bombardement cesse. À 14h30 environ, nous ouvrons le feu sur des groupes d'infiltration constitués en moyenne par deux ou trois hommes. Vers 15h30 - 16h, tout semble calme, nous cessons le feu en continuant à observer, l'ordre est de tirer sur tous mouvements suspects, car notre champ de tir est presque uniquement constitué par des champs de céréales et comme il n'y a pas de vent, l'oscillation des tiges offre un renseignement. Il y a bien des cheminements défilés, mais nous ne pouvons les battre n'ayant pas de munitions pour le mortier.

Ordre de départ

À 16h15, un coureur venant du P.C du Lt Gallion m'apporte l'ordre écrit de quitter la casemate après les destructions d'usage. L'ordre de départ sera donné par six feux rouges lancés par la casemate d'Haute Rive (S/lt Hardy). Le coureur n'a reçu aucun coup de feu. Je ne comprends rien à cet ordre, ignorant tout de la situation.

J'ai les larmes aux yeux de devoir quitter « ma » casemate alors que j'ai réussi à inculquer à mon équipage un esprit combatif et de sacrifice, car nous voulions « tenir jusqu'au bout » comme promis.

Je donne les ordres nécessaires au départ et aux sabotages. Les armes transportables sont démontées, les paquetages montés sur les sacs, etc.

Les feux rouges ne sont pas aperçus, le S/lt Hardy est obligé de m'envoyer un homme me prévenant que le signal de départ a été donné depuis un certain temps déjà. Le coureur me dit n'avoir essuyé aucun coup de feu et n'avoir rien vu de suspect. Je fais précipiter les préparatifs. Un certain affolement règne. Une partie de l'équipage doit rester avec moi pour les dernières destructions, l'autre partie, sous la conduite du sergent-chef Cliquet sortira et nous attendra à un point fixé sur la drève St Antoine.

Les hommes s'élancent, sitôt la porte ouverte. Ils n'ont pas fait 20 mètres que des mitraillettes crépitent. Comme des moutons, les autres foncent à travers tout avant que j'aie eu le temps de les rappeler.

Dans la casemate, restent le sergent Debail et deux hommes. Nous ne pouvons enterrer notre camarade Grard sous le feu des mitrailleuses, de plus nous ne trouvons plus les clés carrées nécessaires à l'ouverture des fûts de gasoil, nous ne pouvons plus les déplacer à 4 car ils sont empilés les uns sur les autres. En fait, les futs de pétroles sont dans une cavité aménagée au milieu des caisses de vivres de réserve (ceci pour éviter le gaspillage et les initiatives individuelle). Nous opérons les dernières destructions : diesel, clés de sureté des 47, goupilles des créneaux, ramassage des papiers secret, etc.

À notre tour, nous partons en coupant à travers les barbelés et directement vers la plus proche lisière de forêt, je ferme la marche. Arrivé à la lisière une balle siffle désagréablement à mes oreilles : c'est la seule manifestation de l'ennemi.

Dans la nuit, les dernières troupes françaises prennent le chemin de Lille et de Dunkerque. La bataille de l'Escaut est terminée.
Elle aura duré du 21 au 26 mai ; presque un record vues les circonstances.

La nasse se referme peu-à-peu sur les troupes françaises, britanniques et belges. Certaines d'entre-elles pourront embarquer vers l'Angleterre, à Dunkerque, dernière ville du Nord à avoir résisté. Dunkerque se rendra le 4 juin 1940.

Clic pour afficher/effacer la ligne de front (en rouge) :

-au soir du 26 mai

-au soir du 21 mai.

-au soir du 18 mai.


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Compléments
Commentaires d'Internautes

Commentaires d'Internautes

Bonsoir Raymond, grand merci pour ce reportage d'autant plus que j'ai vécu mes 27 premières années à Escautpont en lisière de la forêt de Raismes
et en 1947 nous allions jouer aux petits soldats dans cette casemate avec des casques français, anglais et allemands que nous trouvions sur place, sans parler des munitions.
Bien cordialement. J.D.


bonsoir à vous deux, j'espère que vous allez bien...
Article sur la casemate bien reçu ! Joli travail...
bien à vous. Jolie soirée ! S-L et bob !


Cher camarade
Comme ancien artilleur (suisse) les cartes avec les secteurs de tir des forts de la Ligne Maginot sont très intéressantes. Le fait, qu'il n'y ait eu aucun secteur d'artillerie qui touchait la Suisse est rassurant.
Avec mes meilleurses salutations.
Ulrich M.


Super présentation !
Gérard B.

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E-R Cima, kaff.

PC 1 officier - gfm 2 - CLM : 1 - disponibles 8 - 1 chambre de tir (JM et JM/AC47 : 3 s/of 5 h) - cloche JM : 2 dans la cloche , 2 pourvoyeurs et 1 mécanicien au pied - cloche AM : 1 s/o tireur, 1 chargeur 1 observateur et, au pied : 2 servants, kaff