../s3_ae.gif Ligne Maginot - Numérotage des équipages dans un ouvrage CORF. Cima_Evelyne_Raymond ©2013-2021.

Ouvrages CORF.
Gestion de leurs équipages.
Le numérotage.

Point de départ

Point de départ de ce dossier

Voici un dossier prenant son origine dans une simple photo... mais une photo peu courante !

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Curieuse photo, à cause de ces étranges marquages rarement observés sur les murs d'une fortification CORF !

Sur la droite de la photo, et que nous avons « oublié » de photographier, il y a les supports de deux lits ; un à côté de chaque groupe de marquages.

Y aurait-il un lien entre eux et les lits ? « OUI » nous avait répondu en 1986 notre ami Teller_Maurice, à l'époque Président de la Fédération Nationale des Anciens Combattants de l'Armée_des_Alpes 1939-45 (et décédé depuis). « Les trois numéros du haut correspondent aux trois hommes à qui était affecté le lit du haut... » et dans lequel ils ne dormaient bien évidemment pas en même temps mais successivement, en fonction de leurs tours de service à horaires décalés.

Si ces numéros semblent sibyllins pour certains, sans doute rappellent-il vaguement quelque chose aux initiés, entre autres de... la marine de guerre française !


Merci Monsieur Teller_Maurice.

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M. Teller nous avait alors donné une copie du document officiel de 1937 : « Instruction provisoire sur les services dans les ouvrages des Secteurs Fortifiés ».

C'est en nous référant à cette instruction, et en pensant à M. Teller, que nous avons rédigé la suite de ce dossier.


Garnison, équipage

D'une « Garnison » à un « Équipage »

Avant la fortification CORF.

Avant... l'ensemble des personnels d'une fortification constituait la « Garnison » de la fortification. Cette dernière était essentiellement composée de troupes banalisées auxquelles on adjoignait quelques techniciens de la fortification et, après 1870, dans la fortification Séré_de_Rivières, quelques spécialistes des tourelles nouvellement installées.

En effet, dans les « anciens » ouvrages fortifiés on retrouvait les mêmes cuisines, chambres, latrines... que dans toute caserne.
Aux postes de combat, chacun venait avec son armement individuel, comme sur un habituel champ de bataille. Seuls quelques fantassins et artilleurs trouvaient sur place une partie de leur armement, souvent « classique » (canons de campagne), parfois plus « spécifique » à la fortification, surtout depuis les évolutions techniques de la fin du XIXème siècle et la mise en place de tourelles.

L'équipement des fortifications était, grosso-modo, équivalent à l'équipement des casernes des villes de... garnison.

Avec les ouvrages CORF, l'état-major de l'armée regarde du côté de la marine.

Photo Lambert_Sylvie-Laure. Mortiers de 81 à l'ouvrage du Bois_du_Four (SF_Crusnes).

Dans les fortifications CORF, comme sur les navires de guerre, l'armement est en place ; le transport des matériels et munitions est mécanisé ; la ventilation anti-gaz de combat nécessite l'intervention constante de spécialistes ; etc.




Photos Maillot_Luc. Tourelle de 81 quasi éclipsée ou en train d'être mise en batterie (ouvrage de l'Immerhof, SF_Thionville) et son étage intermédiaire d'où l'on ajuste les tirs.

Bien évidemment, ce type de matériel reste dans l'ouvrage et n'est pas emporté pas ses servants mutés ailleurs ! La création des ouvrages CORF, techniquement si sophistiqués, nécessita donc une refonte idéologique totale de la notion même de « garnison » de fortification.

À chaque personne devait être assignée une fonction spécialisée précise comparable à celles en vigueur sur les navires de guerre.

C'est alors que la « garnison » de chaque ouvrage CORF est officiellement appelée « équipage », avec les contraintes administratives des équipages des bâtiments de guerre : équipages « fractionnés » et hommes « numérotés ».

D'ailleurs, dans son instruction du 7 octobre 1937 relative au service dans les ouvrages CORF, le Ministère de la Guerre précise : « Adaptation du décret sur le service dans les forces navales et à bord des bâtiments de la Marine militaire du 18 février 1928 » !


Fractionnement et tours de service

Fractionnement et tours de service.

Fractionnement de l'équipage.

Le fractionnement permet aussi de définir le ruissellement du commandement, en cascade ou en parallèle, dans l'ouvrage : qui commande directement à qui, et en quelles circonstances.

Les tours de service.

Comme il n'est pas envisageable que chaque homme soit à son poste de service 24h/24, il faut bien que lui soient accordés des temps de relative liberté ou de détente.
L'homme est alors remplacé à intervalles réguliers de temps, ce qui nécessite la mise en place de tours de service.

Photo. Usine électrogène de l'ouvrage de Sainte_Agnès (SFAM) comportant, en 1940, trois groupes SMIM de 100CV et un groupe CLM 1PJ65. Un SMIM a été enlevé par l'armée, après-guerre.

L'effectif du personnel électromécanicien (Génie) assurant le service dans l'usine (service par quart) est fractionné en quatre équipes constituées, chacune, d'un sous-officier, de deux mécaniciens, et d'un électricien.

Deux équipes assurent le fonctionnement des deux SMIM normalement en marche. Une troisième équipe s'occupe de l'entretien des deux autres groupes électrogènes (SMIM et CLM). Cette dernière équipe alterne avec les deux équipes de service pendant que la quatrième équipe est disponible à la caserne, pendant 24 heures.

Remarque : « à la caserne, pendant 24 heures » ne signifie pas repos et loisirs pendant 24 heures pour cette quatrième équipe, mais arrêt de son service dans l'usine au profit d'éventuels travaux d'entretien dans le casernement (nettoyage des galeries, des latrines...).


Numérotage

Numérotage.

Chaque membre d'équipage a une fonction bien définie, identifiable par le « numéro » unique qui lui est attribué à son arrivée dans l'ouvrage et qu'il conserve jusqu'à une éventuelle mutation de service.

Privilège des officiers et faisant fonction d'officiers (peu nombreux dans les ouvrages) : ils n'ont pas de numéro d'identification.

Comme on va le voir, ce numéro fournit, à lui seul, de nombreuses informations sur l'activité de celui à qui il a été attribué.

Le plus simple, avant d'entrer dans les détails du numérotage, est sans doute de décrypter les informations figurant sur le haut de la photo du début de dossier.

4.101S ; 4.112 ; 4.103C. Ces trois numéros correspondent aux trois hommes d'équipage auxquels le lit voisin est réservé pour être, bien évidemment, utilisé à tour de rôle !


Le décryptage de chaque numéro est à faire, ici, en l'épelant de gauche à droite.

Avantage de ce système normalisé de munérotage.

L'avantage d'un tel système de numérotage est évident : il est visuellement concis et parlant.
De plus, la mutation d'un membre d'équipage, ou d'un officier, d'un ouvrage à un autre, ne génère chez ce dernier aucun temps d'adaptation à de nouvelles normes, que l'ouvrage d'affectation soit plus petit ou plus grand que celui d'origine, qu'il comporte uniquement des armes d'infanteries ou soit mixte.
Enfin, les communications entre commandants d'ouvrages et états-majors, tout particulièrement pour demander l'affectation d'un spécialiste manquant, devraient être ainsi exemptes de toute erreur d'interprétations.


Précisions sur le numérotage.

Précisions sur le numérotage.

Contrairement à ce que l'on pourrait imaginer au premier coup d'oeil, chaque numéro est constitué de deux nombres séparés par un point (ou un tiret) ; deux nombres suivis (ou pas) d'une lettre.

Sur cette photo d'illustration, nous avons entouré les trois éléments constitutifs du numéro : le premier nombre, le second nombre et la lettre éventuelle.


Premier nombre du numéro (ici « 4 » sur l'illustration).

Il est bien évident qu'à l'intérieur de chaque groupe d'indicatifs, existent des subdivisions. Par exemple 90 correspond au personnel de commandement du service des chemins de fer ; 91 correspond au personnel de service du mouvement des trains ; 92 au personnel du service de maintenance des trains...


Deuxième nombre du numéro (ici « 101 » sur l'illustration).


Lettre de fin de numéro (ici « S » sur l'illustration).

Elle désigne le grade de l'homme. Deux lettres sont utilisables : S pour sous-officiers et C pour caporaux-chefs et caporaux (brigadiers-chef et brigadiers dans l'Artillerie).
Pas de lettre pour les non-gradés (soldats).


Petit test de décryptage de numéros.

Décryptez le numéro : 3.103 S

Réponse. Clic ICIL'homme est :
(3.) Affecté au bloc 3 ;
(1) Arme d'origine : infanterie ;
(0) Chef de son unité ;
(3) Troisième tour dans un service par quart ;
(S) Sous-officier.

Décryptez le numéro : 4.302 C

Réponse. Clic ICIL'homme est :
(3.) Affecté au bloc 4 ;
(1) Arme d'origine : artillerie ;
(0) Chef de son unité ;
(2) Deuxième tour dans un service par quart ;
(C) Brigadier ou brigadier-chef.

Décryptez le numéro : 5.756

Réponse. Clic ICIL'homme est :
(5.) Affecté au bloc 5 ;
(7) Arme d'origine : génie transmissions ;
(5) Rang 5 de son unité ;
(6) Deuxième tour dans un service par tiers ;
Soldat.

Compléments d'informations relatifs au numérotage.

Compléments d'informations relatifs au numérotage
Les rôles

Les rôles.

Qu'est-ce qu'un rôle ?

Le mot « rôle » est dérivé de « rouleau ». Jadis, on rédigeait certains documents officiels sur des rouleaux de papier : des rôles.
« Rôle » a donné le verbe « Enrôler », c'est-à-dire engager quelqu'un dans l'armée en inscrivant son nom sur un... rôle.

Dans la fortification CORF, un rôle est un document (tableau...) répertoriant des unités ou des tâches à effectuer en regard desquelles sont notés les numéros (ceux vus plus haut) des personnels concernés.

L'instruction ministérielle de 1937 demande à chaque commandant d'ouvrage d'établir une grande quantité de rôles : rôle de couchage, rôle de défense contre les gaz, rôle d'incendie, rôle de veille, etc.
Et, enfin, celui qui nous intéresse tout particulièrement dans ce dossier : le rôle de numérotage.

Rôle_de_numérotage.

Imaginez un ouvrage CORF où l'effectif serait au complet, en nombre de personnel, mais dans lequel il n'y aurait aucun électromécanicien ! Cet état de fait entraînerait une absence d'électricité, de ventilation, de monte-charges fonctionnels pour les munitions... la fortification serait alors quasi-inutilisable.
Son commandant a donc besoin de savoir, à tout instant, si tous les postes de chaque unité (de combat et technique) sont pourvus et, nominativement, par qui.

C'est ce qu'indique le « rôle_de_numérotage » dans lequel toutes les unités de l'ouvrage sont répertoriées sous forme de tableaux avec les numéros de tous leurs personnels : Quatre tableaux en fonction des tours de service.

  1. Un tableau pour les services par quart
  2. Un tableau pour les services par tiers
  3. Un tableau pour les services par moitié
  4. Un tableau pour les services sans relève.

Le rôle de numérotage est donc constitué de quatre tableaux : un tableau pour tous les locaux et unités où le service est à quatre tours, un tableau pour tous les locaux et unités où le service est à trois tours, un tableau pour tous les locaux et unités où le service est à deux tours et, enfin, un tableau pour tous les locaux où le service est sans remplacement (comptabilité...).

En face de chaque numéro, est inscrit le nom de la personne physique lui correspondant.
Les noms sont notés au crayon car ils sont susceptibles de changer au cours du temps, contrairement aux numéros qui, eux, sont quasiment immuables.

Voici un exemple d'une ligne du tableau « services par quart » d'un rôle de numérotage.

Nous n'avons représenté qu'une seule des lignes de ce tableau. Elle correspond à un petit bloc d'infanterie et les noms sont fictifs.

Précisions sur le code couleurs du rôle de numérotage : Les « échelons a, b1 et b2 ».

À quoi correspondent donc ces points de couleur rouge, verte et... grise (ou noire) ?

En période de tension internationale, l'ouvrage est occupé mais son effectif est restreint et les postes sont assurés par des militaires d'active, que l'on appelle « échelon a » et qui sont repérés par des points de couleur rouge.

Lorsque la tension internationale se crispe, le rappel des réservistes frontaliers (voisins de l'ouvrage) permet, en une journée, de servir l'ensemble de l'armement. Les réservistes frontaliers constituent « l'échelon b1 ». Ils sont repérés par des points de couleur verte.

Puis sont rappelés les réservistes non-frontaliers « échelon b2 » qui, en trois jours, complètent l'effectifs de guerre. Ces derniers sont repérés par des points gris ou noirs sur le rôle. Ils sont affectés en général sur un poste non-urgent à pourvoir tel, par exemple, un poste dans les cuisines, ou chez les sapeurs-mineurs...


Photo peu courante. Pourquoi ?

Remarque en guise de conclusion : retour vers la photo du début de dossier.

En quoi la photo est-elle peu courante ?

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La notice d'instructions de 1937 spécifie clairement, au sujet des couchages, que « les occupants successifs seront inscrits sur une pancarte fixée au lit ».

Peu d'ouvrages doivent avoir eu, comme ici, leurs pancartes de lits remplacées par un affichage mural au pochoir !

Nous avons donc, sans doute ici, un exemple concret et quasi-archéologique de numérotage.

Il y a plusieurs dizaines d'années, nous avons eu un entretien avec le commandant en 1940 de cet ouvrage. Il ne se souvenait plus du pourquoi il avait enfreint le règlement et autorisé ce type de marquage sur le mur.
Cependant, à propos des peintures et des finitions menées à bien dans les locaux de l'ouvrage, il nous a dit que le fort était très loin d'être terminé lorsqu'il en avait reçu le commandement mais que, par la suite, il avait considéré le travail restant à faire comme étant une chance pour lui et son équipage. En effet, tout le monde avait ainsi participé avec entrain à de multiples et divers travaux en tous genres, dans et hors de l'ouvrage, évitant donc l'inactivité démoralisante hors de la « routine militaire ».


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E-R Cima, kaff.