Entre décembre 1939 et mai 1940, le Groupe de Chasse I/6, stationne successivement sur les bases aériennes de Marignane_, Chissey_, Berck_, de nouveau Marignane_, puis Lognes (objet de ce document) où, pour la première fois, il va être engagé dans des actions de guerre.
Dans le texte, les notes «JJ» correspondent à l'historique écrit par le Lieutenant pilote Jacques_Jolicoeur du GC I/6 et les notes «GC» correspondent à l'historique écrit par le Sergent mécanicien Gaston_Cima.
Arrivée à Lognes_
Arrivée à Lognes_Émerainville
JJ. «Le 10 mai, l'offensive allemande est déclenchée. La bataille de France commence nécessitant le concours de la presque totalité de nos forces aériennes.
Le Groupe de Chasse I/6 est appelé à participer, dans la Z.O.A.N (Zone d'Opérations Aériennes du Nord - Général d'Astier_de_La_Vigerie) à laquelle il est affecté.
Son échelon volant [en provenance de Marignane_] arrive le 17 mai, sur le terrain de Lognes_Émerainville.
Le Groupe de Chasse I/6 est attribué au Groupement 23 (Général Romatet_ (Clic +/- informations)Jean_Romatet : futur général de division aérienne. Chef d'état-major général de l'Armée de l'air de Vichy entre le 23 septembre 1940 et le 21 décembre 1942]), Poste de Commandement : Chantilly_, depuis le 16 mai.»
JJ. «Pas plus que les terrains précédemment occupés par le Groupe de Chasse I/6, le terrain de Lognes_Émerainville ne possède, à l'arrivée du Groupe, de défense anti-aérienne, ni de matériel de camouflage. Deux batteries de 40mm (matériel Bofors) arriveront dans la nuit du 18 au 19 mai.
Pas d'abris pour le personnel, en cas de bombardement, en dehors de quelques casemates éloignées des emplacements de travail. Ces casemates sont utilisées pendant les alertes, mais la perte de temps qui résulte de ces allées et venues est préjudiciable à l'activité du Groupe.
En l'absence momentanée de l'échelon roulant, qui ne rejoint que le 19, le travail s'effectue dans de très mauvaises conditions, avec quelques hommes dont dispose la Compagnie de l'Air et le Parc.»
Baptême du feu
18 mai. Baptême du feu
JJ. «18 mai. Baptême du feu pour l'ensemble du Groupe de Chasse I/6, mais dans des conditions particulièrement dures. Journée sanglante où s'inscrirent, dès le début de ses opérations actives, des pertes sévères.
À 6h30, une reconnaissance ennemie survole le terrain au raz des nuages. La 1ère escadrille, qui était en alerte, décolle, mais ne parvient pas à intercepter les avions ennemis qui se sont réfugiés dans les nuages.
À 7h30, un DO17 sortant des nuages attaque le terrain à la bombe, à 800m d'altitude. La patrouille d'alerte de la 1ère escadrille tente de décoller. Le Morane du S/Lt Duchêne_Marullaz est atteint, son hélice étant brisée par un éclat. Quatre autres appareils sont détruits. Une bombe, qui a mis le feu à un buisson, provoque l'incendie d'un appentis dans lequel avaient été déposées les munitions la veille au soir, à la tombée de la nuit, lors de leur arrivée au terrain. L'incendie et l'explosion des munitions durera 3 heures pendant lesquelles le Groupe entier prendra la formation d'alerte tandis que les pompiers de la chocolaterie Menier [voisine] alertés, s'avéreront incapables de réduire le sinistre.
Clic +/- Zones des combats
L'après-midi vers 14h, le Groupe fournit une mission de destruction générale sur le secteur Laon_, Le_Cateau, St_Quentin, Guise_. Le temps étant très couvert, les diverses patrouilles étagées ne tardent pas à perdre le contact. Vers 14h50, le Capitaine Mauvier_ et le Sergent Popelka_ attaquent chacun, à deux reprises différentes, un groupe de 12 DO17 à 10km Ouest de St_Quentin. L'un de ces appareils est probablement descendu par le Capitaine Mauvier_ ; le Sergent Popelka_ signale avoir mis en feu le moteur gauche d'un autre DO17 parti isolément vers l'Est de la ville ; cet avion est d'ailleurs attaqué peu-après par 2 Bloch 152.
Un DO17, attaqué par une patrouille comprenant le Capitaine Tricaud_, le Capitaine Bruneau_ et le Lieutenant Jolicoeur_ est mis en difficulté au Nord-Est de Laon_, vers 14h45. Un DO215 attaqué à trois reprises par le Sergent Kucera_, est finalement abandonné, un moteur en feu.
vers 15h15, c'est le S/Lieutenant Raphenne_ qui attaque seul un groupe de 7 Me110 à 10km au Nord-Est de Saint_Quentin ; l'un de ces appareils, mis en difficulté, rentre en piquant dans les lignes ennemies.
Au retour de cette mission, le Lieutenant Jolicoeur_ dont l'appareil a été détérioré au cours du combat et qui, victime d'un givrage à 8.000m n'a pu redresser qu'à environ 700m, doit atterrir avec ses commandes de tir coupées, le canon éclaté et les capotages arrachés, sur le terrain d'un Groupe de bombardement à Claye_Souilly.
Vers 16h30, le Groupe de Chasse I/6 reçoit son personnel mécanicien amené par avion de transport, peu avant un deuxième bombardement du terrain. Ce nouveau bombardement est effectué par deux DO17, également vers 800m ; aucune perte en personnel, mais un nouveau Morane est détruit.
Le Groupe de Chasse I/6, ce jour-là, malgré ses pertes en matériel, ne fournit pas moins de 36 sorties (12 en couverture de son terrain, 18 en destruction du bombardement ennemi, 6 en protection). Les missions de destruction et de protection sont faites dans la région de Saint_Quentin.»
Premières pertes humaines
JJ. «Pertes particulièrement lourdes.
Le S/Lieutenant Paturle_ rentre au terrain, blessé à l'épaule par un éclat d'obus ; le Capitaine Mauvier_ disparait vers 15h dans un combat aérien livré dans la région de Saint_Quentin (Clic +/- informations)Morane N° de série 1053 codé 1 d'après la "Collection Histoire de l'Aviation n°5 : le Morane-Saulnier MS406. Edition LELA Presse". Toujours d'après cette publication, le capitaine aurait sauté en parachute et aurait été fait prisonnier.
En novembre 1942, le Gouvernement de Vichy crée en Algérie un GCIII/3 dans lequel il semblerait que l'on ait retrouvé le Capitaine Mauvier_, tué le 8-11-42 en combat aérien contre les Alliée.
Remarque : les numéros d'avions que nous avons notés ont presque tous été trouvés dans la "Collection Histoire de l'Aviation n°5 : le Morane-Saulnier MS406. Edition LELA Presse"
Le Capitaine Bruneau_ disparait vers 20h dans son avion en flamme [n°912], atteint par les mitrailleuses anti-aériennes ennemies près de Saint_Quentin. Pour permettre à ses équipiers d'échapper au rideau de feu qui les entoure, le Capitaine Bruneau_, dont l'avion est en flammes, au lieu de parachuter pointe sur une batterie et la réduit au silence en s'abattant sur elle. Grâce à ce sacrifice, le S/Lieutenant Janis_ et le S/Lieutenant Demoulin_ pourront rejoindre nos lignes.
Les deux escadrilles sont désormais privées du chef qui les avait formées et conduites pour la première fois au combat.
De nombreux Morane rentrent au terrain criblés de balles et d'éclats d'obus. Le S/Lieutenant Demoulin_ est, notamment, contraint d'atterrir au Bourget_ et, d'abord porté comme disparu, rejoindra le Groupe le lendemain matin à la première heure.
Il ne reste en fin de journée que 12 avions disponibles sur les 26 !»
Trois jours
Trois jours de trajet pour l'échelon roulant
Clic +/- Trajet de l'échelon roulant
GC. «17 Mai 1940. Nous quittons Rognac_, nous traversons Miramas_, Salon_de_Provence, Avignon_, Villeneuve_lès_Avignon.
18 Mai 1940. Je ne connais pas cette gare, mais naturellement car nous passons sur la rive droite du Rhône et après avoir traversé Pont_St_Esprit, Le_Teil, St_Péray, Givors_, Paray_le_Monial, Moulins_, Saincaize_, Bourges_, Vierzon_, nous voilà arrivés à St_Pierre_des_Corps. Mais où allons-nous ? Les voies sont encombrées par des trains de Belges et de Hollandais qui commencent à affluer et de plus on apprend que la voie de Paris à Marseille est provisoirement coupée.
On nous attelle une loco-électrique et nous repartons en sens inverse mais nous obliquons vers Paris.
Nous filons à toute vitesse car la voie est toute droite et nous traversons Blois_, Orléans_les_Aubris, Étampes_, pour enfin arriver à Noisy_le_Sec.»
GC. «19 mai 1940. Voilà déjà 7 heures que nous sommes à Noisy_le_Sec sans aucun ordre de débarquement et les avions ennemis viennent nous rendre visite de temps à autre. [D'autres trains militaires sont aussi stationnés dans cette gare où s'agitent de nombreux civils dont les enfants courent de partout.]
Nous repartons sur le réseau de l'Est mais pas très loin car après environ 50 minutes de marche nous arrivons dans un petit village de la grande banlieue parisienne : Émerainville_Pontault_Combault [terminus de notre périple]. Nous sommes à 23km de Paris.
Et le "cirque" est prêt à être déchargé pour reprendre la route mais le terrain n'est pas très loin [1km].
Le débarquement se poursuit sans arrêt toujours sous la surveillance du chef, mais le personnel est entraîné.»
JJ. «19 mai. Malgré ses pertes de la veille, le Groupe de Chasse I/6 fournit 18 sorties (9 en destruction sur St_Quentin et à l'Est de Guise_, 9 en couverture de son terrain.»
5 victoires
5 victoires et de nombreux avions perdus
GC. «20 Mai 1940. Les avions endommagés ont été placés sur un terrain voisin afin de tromper nos ennemis contre une nouvelle attaque.
Après une nuit plutôt courte, nous revoilà prêts à fonctionner à nouveau. Mais il pleut, les camions s'embourbent jusqu'aux essieux et il faut aller quérir un tracteur afin de les sortir.
Tout va pour le mieux, les camions sont placés le plus camoufflé possible dans le petit bosquet environnant.
Les alertes sont très fréquentes et personne ne les prend à la légère.»
Clic +/- Zones des combats
JJ. «20 mai. Le Groupement 23 a mission d'agir par priorité, en couverture de la VIIe Armée. Le Groupe de Chasse I/6 fournit encore 18 sorties correspondant à des missions de destruction dans le secteur Ham_/Péronne_.
Le Groupe de Chasse I/6 inscrit ce même jour, à son palmarès, 5 victoires. 1 Ju86 et 3 Me109 certainement abattus (le Ju86 par le S/Lieutenant Raphenne_, les Me109 respectivement par le Capitaine Tricaud_, le Lieutenant Fejfar_ et le Sergent Jicha_) et, victoire particulièrement brillante étant donné les différences de performances des appareils adverses, un Do215 poursuivi jusqu'au sol et vraisemblablement abattu par une patrouille légère (S/Lieutenant Halgrin_ et S/Lieutenant Janis_) à Ham_, vers 17 heures.
Combats aériens qui témoignent des qualités de mordant et de ténacité des équipages du Groupe de Chasse I/6.
Pas de pertes en personnel ce jour-là, mais le S/Lieutenant Raphenne_ [appareil n°856] est descendu à Ailly_sous_Noye (près d'Amiens_) ; le S/Lieutenant Duchêne_Marullaz [appareil n°862] et le Sergent Pages_ [appareil n°844], tous deux blessés en combat aérien, le premier brûlé, sont descendus vers 10h30 à Villers_Bretonneux et se sauvent en parachute. Ces trois pilotes rejoindront le Groupe peu après, mais le S/Lieutenant Duchêne_ ne pourra plus prendre part aux opérations.
Les pertes en matériel sont extrêmement sévères et, faute d'être recomplétés à temps, le Groupe de Chasse I/6 se verra, pendant 48 heures, dans la nécessité absolue de réduire considérablement le nombre de ses sorties.»
JJ. «Le 20 mai, le Groupe de Chasse I/6 reçoit le Capitaine pilote Poilloue_ de_Saint_Mars.»
Victoires et pertes humaines
Victoires et pertes humaines
JJ. «21 mai. Le Groupe 23 agit principalement au profit de la 1ère armée ; 10 sorties sont encore fournies, malgré les pertes de la veille, par le Groupe de Chasse I/6 en couverture de son terrain. L'une de ses patrouilles (Capitaine Tricaud_, S/Lieutenant Raphenne_, A/Chef Senet_) réussit à abattre un Do17. Le mauvais temps empêche, dans la matinée, l'action de la Chasse.
Clic +/- Zones des combats
Dans l'après-midi, le Groupement 23 couvre l'attaque du corps de cavalerie en direction de Cambrai_. Le Groupe de Chasse I/6 participe à cette mission, fournissant encore 10 sorties.»
JJ. «Deux nouvelles victoires particulièrement brillantes s'inscrivent à son actif : 2 Do17 descendus coup sur coup par le Capitaine Silvestre_de_Sacy [Morane N°896] au-dessus du terrain de Cambrai_ ; mais le Groupe est durement éprouvé par la perte de cet officier disparu vers 15h15 en combat aérien.
Le Capitaine Tricaud_ [appareil n°734], Commandant le Groupe, pris à partie par 3 Me109 voit son armement rendu inutilisable par suite de la rupture du circuit pneumatique ; il est descendu en flammes à l'Est d'Arras_ mais réussit néanmoins à atterrir indemne. Il sera rapatrié par l'Angleterre et rejoindra le Groupe le 25 mai.
Outre les deux Morane perdus en combat, deux autres ont été fortement touchés par DCA ; notamment celui de l'A/Chef Senet_ qui revient avec un trou béant dans la dérive.
À midi, 10 pilotes du Groupe vont à Marseille à bord d'un Bloch 220 [pour rechercher 10 Morane 406 de complément].
Réconfort moral pour le personnel, le Général d'Harcourt_, Inspecteur et Commandant supérieur de la Chasse, vient visiter le Groupe et le féliciter de l'effort considérable fourni, dans des conditions souvent ingrates, depuis son entrée en campagne.»
Silvestre_de_Sacy
Capitaine Marcel_ Silvestre_de_Sacy
Lettre écrite par le Commandant Tricaud_ au père du Capitaine Marcel_ Silvestre_de_Sacy.
«Cdt Tricaud_. S.P 867
Aux armées le 30 Mai 1940.
Mon Commandant,
Depuis quelques jours je suis sans nouvelles du Capitaine de Sacy_.
Dans la confusion de la bataille actuelle, des absences de plusieurs jours ne sont pas une exception.
Pour ma part j'ai dû sauter en parachute le 21 Mai, près de Douai, et n'ai pu rejoindre mon unité que le 25 Mai dans la soirée, après être passé par Calais et Londres.
Le 21 mai, en compagnie de votre fils, j'avais attaqué un appareil allemand qui se posa en difficulté sur le terrain de Cambrai. Quelques instants plus tard un appareil français abattit au-dessus du même terrain un bombardier ennemi qui venait de décoller. Je crois que le pilote victorieux était votre fils. (Clic +/- informations)Le 21 Mai, le Capitaine de Sacy a été officiellement crédité de deux victoires contre DO17 : l'une collective, l'autre seul (d'après la "Collection Histoire de l'Aviation n°5 : le Morane-Saulnier MS406. Edition LELA Presse"). Il n'a pas été revu depuis.
Toutes les hypothèses sont possibles. Tous les espoirs sont permis. Peut-être est-il prisonnier.
Son absence nous attriste et pour ma part me désoriente tout à fait, tellement j'étais habitué à sa franche amitié et à sa précieuse collaboration.
Je n'ai pas écrit à Madame de Sacy à Locquirec. Je la devine très inquiète.
Je reste personnellement à votre entière disposition pour ce qu'il vous plaira de me demander mais étant donnés les mouvements possibles fréquents et mes nombreuses absences je vous demande pour plus de dureté et de rapidité, d'adresser vos lettres au Cdt du G.C I/6 S.P.867. De cette façon, même en mon absence les questions posées pourront être traitées.
Notre pensée est auprès de vous, de votre famille.
Je vous prie, mon Commandant, de croire à mes sentiments respectueux et dévoués.
»
Signé Georges Tricaud
Un témoignage de combat aérien, relatif au Capitaine Marcel_ Silvestre_ de_Sacy
Le 16 décembre 1940
Mon Commandant,
Ayant lu votre demande de renseignement dans le Grand Échos du Nord, voici les faits que je puis porter à votre connaissance.
Le mardi 21 Mai, vers 17 heures ou 17h30, revenant de Bapaume_ en voiture, je fus arrêté par un convoi allemand sur la route de Bapaume à Bertincourt, à quelques kilomètres de ce dernier village. Pendant cette pause nous assistâmes à un combat aérien où malheureusement il ne paraissait y avoir qu'un avion français contre beaucoup d'allemands : nous plaignîmes même de sa témérité le Français dont l'appareil tomba bientôt en flammes. Continuant notre route, en rejoignant Bertincourt, à l'entrée même du village, nous passâmes devant l'appareil achevant de se consumer.
Marchant avec beaucoup de difficultés, Madame Neveu étant alitée depuis vingt-huit mois, nous ne sommes jamais allés sur le lieu de la catastrophe, mais j'ai su que les restes de l'aviateur, un français, seul dans l'avion, avait été enterré sur le lieu même de la chute. On a placé une croix, fait un entourage de briques et fleuri la tombe du malheureux soldat.
On a recueilli sur place quelques débris de parachute et une mèche de cheveux blonds. Je connais le détenteur de ces souvenirs qui les tiendrait à votre disposition le cas échéant, s'il s'agissait vraiment de votre pauvre enfant.
Je fais vérifier le nom presque illisible sur la croix. L'appareil n'a pu être identifié, m'a-t-on dit. Je joins un calque de la carte Michelin_. La croix rouge indique approximativement le point de chute et la tombe.
Puissent ces quelques renseignements vous apporter une certitude, bien cruelle hélas, mais de ce fait aussi quelque adoucissement à votre chagrin en vous permettant d'espérer pouvoir venir un jour sur la tombe de contre courageux enfant.
Agréez, mon Commandant, avec mes condoléances bien sincères et l'assurance de la part que je prends à votre chagrin, mes respectueuses salutations.
Signé : G. N.
Pharmacien
Bertincourt_ (Pas_de_Calais)
P.S. On ne peut distinguer aucune lettre sur la plaque d'identité clouée sur la croix. Par des camarades d'escadrille peut-être pourriez-vous savoir si votre fils a pris l'air vers l'heure que je vous signale.
Le Commandant Silvestre_ de_Sacy (père du capitaine), n'ayant plus de nouvelles de son fils, fait paraître un «avis de recherche» dans le journal «Grand Échos du Nord». Il reçoit plusieurs réponses plus ou moins concordantes. Ci-contre : l'un des témoignages retenu par la famille Silvestre_ de_Sacy, après consultation du Commandant Tricaud.
Commandant Georges_ Tricaud_
G.C. 3/9
Base aérienne de Salon (B. du R.)
Salon, le 1er janvier 1941
Madame,
Je reçois votre lettre du 21 décembre. J'ai lu avec attention toutes les réponses qui ont été faites à votre demande formulée dans l'Échos du Nord.
Dès maintenant il faut éliminer l'appareil signalé par Mademoiselle Simone D. de Douai_. Les renseignements précis quant au n° du constructeur (n°462) et du numéro d'ordre dans l'Unité (n°3 en noir sur fond bleu circulaire) ne peuvent se rapporter à l'appareil du Capitaine de_Sacy. (n°896.564 et 03 de très grande dimension, 0m75 à 1m, sur l'aile et sur le fuselage et non sur l'empennage, tracé à la peinture blanche).
Malheureusement il ne m'est pas permis d'éliminer le second appareil signalé par les trois autres lettres. Il est à peu près certain que chacun des trois correspondants parle du même appareil. Tous sont formels au sujet de la date et du lieu. Les divergences en ce qui concerne l'heure peuvent très bien s'expliquer par le temps qui s'est écoulé depuis le 21 mai et par le nombre d'événements dont ont été témoins les habitants de cette région qui au surplus ne devaient pas être en possession de tout leur sang-froid.
[...] La distance de Bertincourt_ à Cambrai_ [20km] peut très bien s'expliquer par une erreur de Sous-Lieutenant Raphenne_ et de l'Adjudant Senet_ qui avaient indiqué le terrain de Cambrai_ comme point de chute du DO.17 [...] D'autre part, au moment où Raphenne et Senet avaient vu un Morane, qu'ils croyaient être le mien, pris à parti par des M.109, ils étaient eux-aussi attaqués et n'ont pas vu l'appareil s'écraser au sol. Dans ces conditions le combat aurait bien pu entraîner Marcel à quelques kilomètres de l'endroit signalé. J'ai moi-même été abattu à Cantin près d'Arleux_, à quelques km au Sud de Douai alors que j'avais participé avec mes camarades à l'attaque du premier DO.17. [...]
Signé Tricaud_
Citation. Extrait de l'ordre "C" n°73 du 24-4-41. J.O. du 17-5-1941
Silvestre_ de_Sacy Marcel_ capitaine, groupe de chasse I/6 : officier d'une conscience rare qui s'est dépensé sans compter dans ses fonctions d'officier-adjoint au commandant de groupe pour assurer la mise sur pied de son unité et l'instruction du personnel.
Impatient de prendre une part active à la bataille a insisté sans cesse pour participer aux missions de groupe. Remplaçant un chef d'escadrille disparu, a contribué par l'exemple de son courage farouche à maintenir un moral élevé dans son unité déjà éprouvée.
Est tombé en flammes le 21 Mai 1940 après avoir abattu deux avions ennemis en soutenant une lutte inégale contre de nouveaux adversaires.
22-23-24 mai
22-23-24 mai. Journées relativement calmes
Pour la journée du 22 mai, les deux historiques en notre possession ne font état d'aucune activité aérienne du GC I/6. Le Groupe reçoit le Sergent pilote Jost_.
GC. «22 Mai 1940. Je vais à Paris pour la première fois [en voiture légère]. Après avoir traversé les quelques grands boulevards avec un camarade parisien [Caporal/Chef Vuilleminey_ René_], nous allons chez lui à Bondy_ à 12km de la capitale.
Nous allons ensuite à l'entrepôt de l'armée de l'air de Nanterre_ [où est actuellement implantée l'Université] pour chercher du matériel pour avion et, bien tranquillement, nous retournons à Lognes_, notre port d'attache.»
JJ. «Le soir [les 10 pilotes du Groupe partis à Marseille la veille] ramènent 10 Morane 406 ; précieux renforts de matériel qui va permettre au Groupe de reprendre toutes son activité.»
23 mai : rien de spécial à signaler.
JJ. «23 mai. Le Groupe de Chasse I/6, en raison de l'arrivée tardive, la veille, des Morane de recomplément, et des mises au point nécessaires, n'est encore en mesure de fournir ce jour-là, que 8 sorties pour des missions de couverture de son terrain.»
24 mai : une victoire.
Clic +/- Zones des combats
JJ. «24 mai. Participant aux missions de couverture effectuées par le Groupement 23 par priorité sur le front de la 1ère Armée, le Groupe de Chasse I/6 fournit 18 sorties (9 en couverture aux vues vers Ham_ et Péronne_, 9 en couverture aux vues et aux coups vers Amiens_ et Montdidier_).
Au cours de ces missions, il remporte une nouvelle victoire : un Do 17 abattu par une de ses patrouilles (Capitaine Kulhaneck_, S/Lieutenant Raphenne_, Sergent Jicha_) à 5 kilomètres au Sud de Montdidier_. Un autre Do17, puis tout un groupe de 30 bombardiers sont attaqués sans résultats apparents.
Le capitaine tchèque Kulhaneck_ est descendu, mais il atterrit indemne ; son appareil [N°652] est perdu.»
GC. «24 Mai 1940. Le village n'est pas loin et il est intéressant comme toute la banlieue parisienne. Après avoir fait quelques connaissances, nous arrosons ça dans une petite gargotte du pays.
Oh ! Mais tous les sous-officiers du service technique sont réunis et évidemment les apéritifs se succèdent. Le repas est copieux si bien qu'après avoir bu le café et une grosse dose de digestif, il est 2 heures du matin. Il faut retourner nous coucher et encore 4km nous séparent de ce lieu.
La route est large, il fait noir. Tout à coup on entend un grognement dans le lointain. Que se passe-t-il ? Presque rien. Dans l'ombre s'avance un torreau. Tête baissée il fonce sur nous. Inutile de dire avec quelle rapidité nous nous sommes allongés dans le fossé qui porde la route. Le grognement continu, le torreau s'arrête, mon camarade s'approche et du milieu de la route contemple notre bestiole à le lueur de son briquet. Mais il n'est rien, que la peur, car il est en liberté dans un enclos qui borde la route. Aussitôt le courage reprend et, dégrisés, nous reprenons la route vers nos pénates.»
Victoires et mort
25 mai. Victoires et mort d'un pilote
JJ. «25 mai. Le Groupement 23 assure, en dehors de missions de protection de reconnaissance, la couverture de la 1ère Armée sur le front Arras_ / Cambrai_ / Douai_ / Valenciennes, ainsi que la couverture des arrières de la VIIe Armée et des terrains.
Le Groupe de Chasse I/6 fournit au cours de cette journée, une patrouille triple en couverture aux vues et aux coups dans la zone Arleux_ / Bouchain_ / Danain_. Cette patrouille se heurte à de nombreux bombardiers ennemis qui traversent la zone d'Est en Ouest et, à l'issue de cette mission, à 22 Me110 aux environs de valenciennes_. Durant toute la mission, elle est prise à partie par le tir précis de la Flak. Elle remporte cependant 4 victoires : 2 sûres (1 Me111 abattu entre Arleux_ et Denain_ par le Lieutenant Biéberlé_ et l'A/Chef Vantillard_) et 2 probables (2 Me111 à attribuer respectivement au Lieutenant Fejfar_ et au Lieutenant Janouch_).
Mais ces victoires coûtent au Groupe deux de ses meilleurs pilotes : le Lieutenant Biéberlé_ [MS406 n°900] et l'A/Chef Vantillard_ [MS406 n°897] disparus tous deux en combat aérien peu après leur victoire, l'un dans la région d'Arras_ vers 15h15, l'autre dans la même région, vers 18h30. Ce dernier rejoindra d'ailleurs le Groupe après s'être évadé une fois l'armistice intervenu, vers le 18 juillet à Salon_de_Provence.
Trompé également par un vent violent d'Ouest en Est, le Capitaine Lefoyer_ est contraint d'atterrir en campagne, à bout d'essence, à Chelles_sur_Touche. Porté tout d'abord comme disparu, il rejoint le Groupe le lendemain.»
Couverture de la VIIe Armée
26-30 mai. Couverture de la VIIe Armée
JJ. «26-30 mai. La couverture des opérations de la VIIe Armée qui s'efforce d'arracher à l'ennemi les têtes de pont qu'il tient solidement au Sud de la Somme, la protection des débarquements dans la région de Beauvais, et la couverture des terrains de la région parisienne, absorbent pendant cette période une grande partie des moyens dont dispose le Groupement 23. Le Groupe de Chasse I/6 participe à ces diverses opérations.
Le 26 mai, le Groupe de Chasse I/6 fournit 18 sorties en destruction sur : Corbie, Bray-sur-Somme, Péronne, Amiens, et Picquigny. Un peloton de bombardiers ennemis, puis un He111 sont attaqués sans résultats apparents.
Le S/Lieutenant Halgrin, après avoir attaqué seul une fois par l'avant et une fois par l'arrière, un groupe de 15 bombardiers ennemis, est descendu vers 13h15 à Duvy (près de Crépy-en-Valois). Probablement blessé dans ces engagements, il tente d'atterrir train rentré, mais son avion [MS406 n°773] percute un talus près de la ligne de chemin de fer, et prend feu. Le pilote périt carbonisé.»
JJ. «Le 27 mai, le Groupe de Chasse I/6 fournit 15 sorties (couverture au coups sur Abbeville, Pont-Rémy, Blangy, Aumale). Un avion ennemi non identifié est poursuivi par une patrouille et réussi à s'échapper, dégageant une forte fumée.»
JJ. «9 sorties le 28 mai (région de Pont-Rémy).»
GC. 28 Mai 1940. Plus de chambre en ville car le village est très petit. Nous dormons sur des matelas pneumatiques dans un camion [ou sous un camion en prévision d'attaques] ou, le plus souvent, dans la nature quand le temps le permet ; mais tout le confort moderne : douche, électricité (avec le groupe électrogène) et surtout musique.»
JJ. «11 sorties le 29 mai (9 en couverture aux coups sur Amiens et Pont-Noyelle, et 2 en couverture de terrain).
Dans cette journée du 29, un Do17 est attaqué vers 1.500m, à 5km Sud d'Amiens, mais il parvient à s'échapper. L'ennemi survole quatre fois le terrain à très haute altitude.
Les conditions atmosphériques très mauvaises réduisent considérablement, à partir de cette date et pendant quelques jours, le nombre de sorties. 6 sorties le 30 mai, en couverture dans la région de Crévecoeur.»
GC. «30 Mai 1940. Depuis quelques jours l'activité de nos avions est toujours de plus en plus grande. 12 partent et 3 reviennent. Plus tard on apprend que les uns sont posés dans la nature, que les autres ont sauté en parachute avec succès et d'autres malheureusement sont descendus et carbonisés avec l'avion.»