../s3_ae.gif Guerre de 1914-1918. Fortification. Décrets du 5 août 1915.
Dossier réalisé à partir d'informations recueillies auprès de notre ami M. Rémi Fontbonne, que nous remercions vivement. E_R_Cima ©2012-2018.

Guerre de 1914-1918.
Fortifications et décrets du 5 août 1915.

Avant-propos

Avant-propos

Dans la littérature relative à la genèse de la ligne Maginot et aux solutions techniques adoptées pour l'armement de ses ouvrages, reviennent régulièrement les conséquences néfastes des «décrets du 5 août 1915».

En effet, à la suite de ces décrets, de nombreuses fortifications permanentes françaises ont été désarmées entrainant, en février 1916, la prise par les allemands du fort de Douaumont, gardienné par une petite poigné d'hommes sans défenses. À l'époque, l'opinion s'en est émue d'autant plus que la défense de Verdun en fut momentanément affectée et que, par la suite, la reconquête du fort coûta des milliers de vies humaines !

Il nous a donc paru intéressant de nous pencher sur ces fameux décrets, tant controversés. Alors, en 1915, étaient-ils adaptés à la situation ou pas ? C'est la question que nous avons posée à M. Rémi Fontbonne, un ami, historien et spécialiste de fortification moderne. (R_Cima)

La réponse qu'il nous en a faite vous est rapportée ci-dessous. Elle est, aussi et encore plus, détaillée dans l'un de ses livres «LES FORTIFICATIONS DE VERDUN (1873-1918)» (ISBN : 978-2-36172-009-4) publié en 2011.


Document Rémi Fontbonne
Décrets du 5 août 1915

Les deux décrets du 5 août 1915

Le 5 août 1915, le président de la République (Raymond Poincaré) signe, à la demande du ministre de la Guerre (Alexandre Millerand) qui lui-même agit à la demande du général commandant en chef (Général Joseph Joffre) deux décrets ayant pour objet : le premier, de modifier le règlement sur le service de place du 7 octobre 1909 ; le deuxième, de mettre en harmonie les prescriptions de l'article 144 du décret du 29 octobre 1913 sur la conduite des grandes unités avec le règlement précédent modifié.

Antérieurement au 5 août 1915

Conformément aux prescriptions de l'article 151 du règlement sur le service de place : «Le commandant en chef ne peut enlever à une place sous ses ordres aucune fraction de la garnison de défense déterminée par le Ministre. […] Le commandant en chef ne doit pas toucher aux approvisionnements de guerre ou de bouche qui forment la dotation normale de la place, ni requérir autour de la place dans les zones de réquisitions que le plan de ravitaillement approuvé par le Ministre, réserve au gouverneur.»

La zone de réquisition est une zone où seule la garnison de la place peut procéder à des réquisitions. Son périmètre est défini par le Ministre. Les réquisitions constituent une source de ravitaillement qui complète les approvisionnements rassemblés dans les magasins avant le déclenchement des événements autorisant les réquisitions.

Après le 5 août 1915

Dorénavant, de par le décret qui vient d'être pris, «les gouverneurs des places fortes et les Commandants des régions fortifiées, situées dans la zone des armées, sont sous les ordres du Commandant en chef» qui «dispose, sans restrictions, de toute la garnison des places fortes sous ses ordres et de toutes les ressources de guerre ou de bouche qui se trouvent soit dans la place, soit dans ses zones de réquisition.» Ainsi, le «régime d'exception» attribué jusque-là aux garnisons et aux ressources des places fortes est supprimé sans qu'il soit touché à la législation spéciale régissant ces dernières.

En d'autres termes...

Jusqu'au 5 août, en matière de gestion de ses hommes, de son matériel et de ses vivres, chaque gouverneur de place n'a de compte à rendre qu'au ministre de la guerre.

Après le 5 août, en matière de gestion de ses hommes, de son matériel et de ses vivres, chaque gouverneur de place passe sous les ordres directs du commandant en charge de la zone des opérations dans laquelle est située la place. Ce dernier peut donc lui prélever hommes, matériels et vivres, à volonté.


1914. Stratégie française

1914. Stratégie française en début de guerre

avant_1915.png Trois situations envisageables au cours d'une guerre de mouvement.

Le front entre les deux armées en présence [ennemi en rouge et ami en bleu] peut se déplacer au gré des circonstances. Les places fortes amies (en bleu-ciel) sont des points d'appui sécurisant la manœuvre des troupes amies. Elles peuvent se trouver en arrière, au contact de l'ennemi, voire se retrouver momentanément encerclées et doivent donc être en capacité de résister.

Dans ce cadre, les places fortes sont des grandes unités tactiques statiques dont les moyens d'action doivent être préservés puisqu'elles peuvent se retrouver isolées au gré des mouvements de troupe.

La réglementation prévoit donc un «régime d'exception» pour les places, afin qu'elles puissent conserver tout leur potentiel défensif, quelles que soient les circonstances affectant les unités en mouvement.


1914. Réalités du terrain

1914. Réalités du terrain après quelques mois de conflit

Le plan XVII du général Joffre (offensive à outrance), appliqué dès le début de la Grande-Guerre, est un échec. Joffre ne réussit à contenir les armées allemandes qu'in extremis au début du dernier trimestre 1914.

Les armées françaises se trouvent alors confrontées à une situation nouvelle : un front continu, durablement stabilisé.

Or, le front continu d'ordre stratégique, inconnu antérieurement puisqu'il ne naît qu'en septembre-octobre 1914, bouleverse la conception d'une guerre de mouvement s'appuyant sur la fortification permanente. En induisant une guerre statique d'usure, il impose alors de mobiliser tous les moyens au profit de celle-ci.

en_1915.png

Ce schéma met en évidence qu'un front stabilisé au-delà des fortifications permanentes, rend momentanément inadéquate le maintien à leur poste de l'ensemble des moyens humains et techniques des places. Et ce d'autant plus que l'état-major français, persuadé au début de la guerre que l'armée aura à mener une campagne brève car l'adversaire devrait être rapidement défait, dispose de moyens limités de résistance, surtout en armement.

Ainsi parait-il judicieux que les garnisons, les armes et toutes les ressources immobilisées dans les places puissent être mises à disposition des armées de campagne.

De ce point de vue, les deux décrets du 5 août ne font qu'adapter la réglementation aux nécessités du moment et sont donc fondés. Et, de ce fait, il est logique que les grandes unités tactiques, que constituent les places fortes, soient supprimées.


Rapport au Président

Rapport au Président de la République

Décret portant modifications au règlement sur le service dans les places de guerre.
Rapport au Président de la République :
Le décret du 7 octobre 1909 portant règlement sur le service dans les places de guerre, a limité les pouvoirs du Commandant en chef vis-à-vis des places fortes de la zone des armées.
Leurs approvisionnements de guerre et de bouche doivent être constamment maintenus au complet, et leur garnison ne peut, qu'en partie, et temporairement, être associée aux opérations.
Or, les conditions de la guerre actuelle, où le rôle des places fortes est intimement associé à celui des armées et où leur sort dépend du résultat des opérations, ont démontré qu'elles devraient participer à ces opérations avec tous leurs moyens d'action. En conséquence, il n'est pas de meilleur emploi de ces moyens, dans l'intérêt de la défense de ces places, comme de la conduite générale des opérations que de les mettre en totalité à la disposition du Commandant en Chef pour être utilisées suivant les besoins de la situation et au mieux des nécessités militaires.
C'est dans ce but qu'il a paru indispensable de modifier les articles 147, 150, 151, 169 du décret du 7 octobre 1909 pour donner au Commandant en Chef autorité absolue sur les Places fortes de la zone des armées et sur leurs Gouverneurs, en lui permettant de disposer sans restriction des ressources de guerre et de bouche et de la garnison dont ces places sont pourvues. […]

Abandon de la fortification ?

Abandon de la fortification permanente ?

Instruction du 9 août 1915

Cependant, la suppression du «régime d'exception» précité et celle des places fortes n'induisent pas l'abandon de la fortification permanente ; elles imposent au contraire de définir un nouveau concept d'emploi de celle-ci. C'est pour cela que le commandant en chef adresse le 9 août aux commandants de groupe d'armées une «instruction générale sur le rôle des places fortes» dont la première partie mérite d'être retranscrite :

Extraites de l'instruction générale GQG/EM/3e bureau n°5020 du 9 août 1915 :

«Les circonstances actuelles de la guerre font ressortir que les places fortes, intimement liées aux opérations des armées, ont perdu leur importance en tant qu'organes de résistance indépendants. Elles n'ont de valeur que dans la mesure où elles peuvent faciliter les opérations des armées en campagne. Il est donc nécessaire que les places fortes situées dans la zone des armées soient entièrement placées sous les ordres du général commandant en chef, et que celui-ci puisse disposer sans restrictions de toutes leurs ressources. Cet état de choses a été réalisé par le décret du 5 août 1915 […].
Comme conséquence, le rôle des places fortes, doit être fixé pour chacune d'elles, comme pour les formations de campagne, par des Instructions particulières du commandement. Celles-ci devront être établies sur les bases générales suivantes :
1° Les places fermées, destinées à être investies, n'ont plus de rôle à jouer. Leurs ouvrages permanents doivent être utilisés dans les lignes de défenses successives, en liaison avec celles des armées voisines, et non dans des organisations concentriques au noyau central. Les places ne doivent, en aucun cas, être défendues pour elles-mêmes ;
2° Les troupes des places seront constituées en unités de campagne entièrement assimilées aux autres unités du front. Les places ne conserveront que les garnisons nécessaires à la sécurité des ouvrages dont le maintien aura été décidé, et qui ne sont pas incorporés dans les organisations de première ligne, ainsi qu'à la garde des approvisionnements ;
3° Après que les prélèvements nécessaires aux besoins locaux auront été faits, toutes les ressources des places en personnel, en matériel et en approvisionnements, resteront à la disposition exclusive du général commandant en chef […].»

La «région fortifiée de Verdun» remplace la «place forte fermée de Verdun»

En 1915, dans le prolongement des décrets du 5 août et de l'instruction du 9 août, le général Joffre est à l'origine de la création de la Région Fortifiée de Verdun (RFV) : un barrage barrant la même longueur de territoire que la place forte, mais à moyens réduits !

En effet, une place forte fermée fait face à toutes les directions (front fermé), mais la portion de territoire qu'elle barre se limite à son diamètre ; une région fortifiée fait face à une seule direction, mais la portion de territoire qu'elle barre a la longueur totale de son front.

La formule du périmètre explique bien le phénomène : une place ayant un diamètre de 30 km (30km de portion de territoire barrés) a sensiblement un front circulaire de 100 km. La région fortifiée barrant la même portion de territoire n'aura que 30km de front rectiligne ; c'est un gain énorme de moyens... Mais il s'agit là, bien évidemment, d'une autre conception du rôle à faire jouer aux fortifications !


Conclusion

Conclusion

En conclusion, la création, en 1915, de la région fortifiée de Verdun était une mesure opportune car tous les ouvrages, en avant de Verdun, étaient ainsi placés sous une seule et même autorité qui devait en organiser et en coordonner la défense, ce qui n'était pas le cas en 1914. Cependant...

Quand « l'arbre cache la forêt » !

...Cependant, en août 1915, le problème prioritaire n'était pas d'optimiser l'emploi opérationnel de la fortification mais de récupérer les ressources que la place forte de Verdun contenait car celle-ci ne se trouvait pas au contact immédiat de l'ennemi. Aussi, les décrets constituent-ils « l'arbre qui cache la forêt », la forêt étant, en l'occurrence, l'abandon de la fortification c'est-à-dire du moyen de combat qu'elle constituait et dont furent privés les combattants de 1916.

Ouvrages désarmés

fontbonne_155_1877.jpg

Dès août 1915, pour l'utiliser ailleurs, on a alors ainsi pu récupérer l'artillerie de place, telle celle illustrant la photo (canons de 120mm L modèles 1878 -à gauche- et canons de 155mm L modèles 1877 -à droite-) ainsi bien sûr que d'autres matériels. Mais...


fontbonne_155.jpg

...Mais on n'a pas pu récupérer l'artillerie de tourelles car elle avait été spécialement conçue à cet effet, sans affuts mobiles.
La photo représente une tourelle à éclipse pour canon de 155mm modèle 1907 (portée 9000m).


Remarque relative à la ligne Maginot

Quelques années plus tard, les concepteurs de la ligne Maginot doteront cette dernière d'un matériel d'artillerie spécifique utilable uniquement dans les créneaux d'ouvrages. Cette technique a, entre autres, dissuadé de réitérer le désarmement de la fortification permanente au profit des troupes de campagne.



Pour en savoir plus...
Etc.

Pour en savoir plus...

Etc.

Pour en savoir plus, sur le lien entre décrets de 1915 et devenir immédiat de la fortifications de Verdun, nous vous invitons à lire « LES FORTIFICATIONS DE VERDUN (1873-1918) » publié en 2011. 308 pages. format 15,5 x 23,5. ISBN : 978-2-36172-009-4. Prix : 21€. Remi FONTBONNE, 41 r Mercy 57070 METZ.

photos/remi.jpg Rémi Fontbonne est historien et spécialiste de la fortification moderne et des engins blindés. Il est aussi l'auteur du livre «Les fortifications allemandes de Metz et de Thionville 1872-1918», éditions Serpenoise, 2006, et de nombreux articles parus notamment dans la revue Histoire de guerre.


Commentaires d'internautes

Bonsoir - A la lecture de tels documents, on réalise que très rapidement, les responsables, tant civils que, surtout, militaires, comprirent l'utilité d'un changement rapide de tactique, de mobile au statique - Mais les soldats étant "fixés" dans les tranchées, en dehors des ouvrages, se sont trouvés fortement exposés aux terribles bombardements d'artillerie, ce qui a provoqué de véritables hécatombes humaines - Hélas... Pierre B.

.
.

.
Kiosque

Espace détente

Kiosque

.

.
.
.
.
.
.
.
Retour à la page d'accueil
M Fontbonne ; E-R Cima, kaff.