../s3_ae.gif Retour à Menton.
Dossier réalisé par Cima E et R, à partir essentiellement du témoignage de Mme Fornari Andrée, jeune fille pendant la guerre de 1940 ; du service Archives-Documentation de la Ville de Menton ; de photos de M Houzé Pierre petit-fils du commissaire Victor Harang, ainsi que de la Bundesarchiv (Allemagne) que nous remercions vivement. Cima E et R. ©2020-2024.

1940-1944 à Menton.
Témoignage de Madame Fornari Andrée.
* *
Évacuation de Menton en mai 1940.
Retour en 1943, sous « occupation » allemande au cours de laquelle la Gestapo fusille le commissaire de police Harang.
Libération de Menton en 1944, par la « Brigade du Diable », unité américano-canadienne.

Introduction

Introduction.

Présentation.

Madame Fornari Andrée est née le 19 avril 1924. Nous avons recueilli son témoignage en juillet et août 2018, à Menton, dans la maison de retraite où elle séjournait alors et où elle est malheureusement décédée trois mois plus tard.

L'histoire qu'elle nous a relatée concerne essentiellement sa vie mouvementée, en 1940-1944, dans la ville de Menton qu'elle avait dû évacuer en urgence avec ses parents, début juin 1940.

Remarque importante.

Comme vous allez le constater, pour la compréhension de ce témoignage nous avons jugé indispensable de replonger ce dernier dans son contexte historique de la guerre, contexte plein de rebondissements.

Charte graphique utilisée.
Ceci est la typographie identifiant les propos de Madame Fornari Andrée dans la suite de ce dossier.
Nos commentaires éventuels sont alors écrits en utilisant notre typographie habituelle ou [celle-ci, entre crochets].

Évacuation de Menton

Juin 1940. Évacuation de Menton, dans la précipitation.

Menton.
Pyrénées
Orientales.


Fin mai 1940. Alors que les Allemands sont en train d'infliger à la France l'une des plus importantes défaites de son histoire, l'Italie, jusque-là hors du conflit armé, s'apprête à entrer en ligne aux côtés de l'Allemagne.

Le 26 mai, les signes plus qu'avant-coureurs de cette attitude décident le général Olry, commandant l'armée des Alpes, à adresser une note au préfet des Alpes Maritimes. Dans cette note il lui fait connaître sa décision : à réception de l'ordre « Exécutez Mandrin » le préfet devra, entre autres, immédiatement faire évacuer les civils de Menton, cette ville située entre la position de résistance de la ligne Maginot et la frontière franco-italienne.

En mai 1940, on nous a demandé de préparer notre évacuation de Menton. En prévision, mes parents avaient déjà fait un tri des affaires importantes à emporter avec nous, pour le cas où... en remplissant valises et malles utiles.
Puis, l'évacuation étant remise à une date indéterminée, nous avions presque repris nos habitudes quotidiennes.

Mais, le 3 juin 1940, sans nous laisser le temps de nous retourner, les autorités nous ont imposé une évacuation précipitée en car. Nous n'avions le droit d'emporter qu'un baluchon par personne et 4 jours de nourriture. Nous avons donc dû tout laisser derrière nous, à la Touquignousa : animaux, meubles, vaisselle, linge de maison... Destination : à quelques dizaines de kilomètres tout au plus, dans l'Ouest du département des Alpes Maritimes, du moins se disait-on dans le car. Mais quelques jours plus tard, nous nous sommes retrouvés dans le département des Pyrénées Orientales !

Remarque 1 : « La Touquignousa », que l'on retrouvera plus loin, est le nom de la villa des parents de Fornari Andrée. Ce nom signifie « la taquine » en mentonnais.
Cette villa familiale est située sur un terrain en escaliers, à 2km du centre de Menton, en bordure de la route de Castellar, conduisant au village de... Castellar.
De l'autre côté de la route, un terrain, lui aussi familial, surplombe la villa. Il est complanté d'oliviers et appelé, à ce titre et par sa famille : « Les oliviers ».
Sur ce terrain, en 1944, stationneront quelques militaires américains (du Canada et des Etats-Unis), comme nous le verrons plus loin.

Remarque 2 : Pour cette évacuation précipitée de Menton, Jean Louis Panicacci, historien et maître de conférences à l'université de Nice, note que l'administration avait mobilisé 200 cars, 130 camions et plusieurs trains pour évacuer les premiers mentonnais dans la nuit du 3 au 4 juin 1940, puis les derniers dans la nuit suivante.
Les mentonnais (15700 personnes) sont alors tous dirigés au-delà de Nice, vers Antibes et Cannes.
Puis, le 7 juin 1940, ils sont emmenés dans les Pyrénées orientales où ils sont répartis dans 83 communes, aux alentours de la ville de Prades où un immeuble devient la « mairie de Menton ».


Retour, ou presque...

Octobre 1940. Retour des réfugiés, mais... PAS de tous jusqu'à Menton !


Photo : signature de l'armistice entre la France (représentée par le général Huntziger Charles) et l'Italie (représentée par le maréchal Badoglio Pietro), le 24 juin 1940 à Olgiata (près de Rome).

Photo dont nous n'avons pas pu déterminer le photographe.


Menton « annexée » par l'Italie.

Après la défaite française et les armistices de juin 1940 qui s'en suivent, avec l'Allemagne (22 juin 1940) et l'Italie (24 juin 1940), la France est divisée en plusieurs zones. Certaines sont annexées par l'Allemagne, d'autres sont sous contrôle strict allemand et le reste est, grosso modo, divisé en deux grandes zones officiellement administrées toutes deux par le « gouvernement français de Vichy ». Mais la partie Nord, « zone occupée » par les Allemands, est sous le contrôle de ces derniers ; la partie Sud, « zone libre », ne l'est pas.

En juin 1940, malgré la résistance de l'Armée des Alpes demeurée invaincue face à l'Italie, ce dernier pays occupe quelques bribes frontalières et, surtout, annexe de fait la ville de Menton en y italianisant tout : l'administration, la justice, la langue, l'enseignement, la monnaie, les rues, le chemin de fer...

Octobre 1940.

À partir d'octobre, la plupart des mentonnais réfugiés dans les Pyrénées Orientales retournent vers Menton, mais... à quelque chose près, ceux ne faisant pas allégeance à l'Italie et aux contraintes qui leur sont imposées par la « Commissione Italiana d'Armistizio con la Francia » [Commission Italienne d'Armistice avec la France], restent réfugiés en zone libre et leurs biens, confisqués par les Italiens, sont distribués à des Italiens !
C'est ainsi que Fornari Andrée part des Pyrénées Orientale mais ne peut pas rentrer chez elle !

Les Italiens ne nous ont pas permis de retourner chez nous et nous avons dû nous arrêter dans le département du Var.
Plus tard, nous avons su que notre villa Touquignousa avait été donnée à des Italiens !


1942. Les Italiens occupent tout le Sud-Est

1942. Les Italiens occupent tout le Sud-Est de la France.

8 Novembre 1942. Opération Torch sur l'Afrique du Nord.

Opération Torch : des troupes américaines débarquent au Maroc et des troupes anglo-américaines débarquent en Algérie.
Si, en Algérie, la prise de Alger est rapidement menée, celle de Oran se heurte à une résistance importante des troupes françaises de Vichy. Il en va de même au Maroc.
Quoi qu'il en soit, deux jours après les débarquements, le 10 novembre donc, les troupes françaises de Vichy signaient un cesser le feu avec les Anglo-Américains.
Quant à la Tunisie, troisième pays d'Afrique du Nord lui aussi lié à la France de Vichy et sous protectorat, elle allait passer sans incidents sous contrôledes Allemands et des Italiens suite à l'opération « Anton ». Anton ?

10 Novembre 1942. Opération Anton sur la « zone libre ».

Sur ordre d'Hitler, en réplique à l'opération anglo-américaine sur l'Afrique du Nord, et pour s'en « protéger », les Allemands et les Italiens lancent alors l'opération Anton dont l'objectif est d'occuper, en France, l'ensemble de la « zone libre ».
Dans le contexte de cette action, les Allemands mènent l'opération « Lila », en direction du port de guerre français de la ville de Toulon ; opération consistant à s'emparer de la flotte de guerre du gouvernement de Vichy.
Mais, le 27 novembre, à l'arrivée des Allemands, l'amiral français Jean de Laborde ordonne le sabordage de la flotte française.

Quelques photos relatives au sabordage ayant entraîné la perte de 58 vaisseaux du régime de Vichy.

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Photo du 27 novembre 1942. Toulon. Sabordage du croiseur Colbert.
Photo Bundesarchiv.
Photographe : Vennemann, Wolfgang.
Titre de la photo : Au Sud de la France, Toulon. - « Opération Lila ». - Navire de guerre français en feu dans le port (croiseur lourd « Colbert »).
Reproduction et diffusion interdites sans accord de la Bundesarchiv.


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Photo du 27 novembre 1942. Toulon. Sabordage de destroyers.
Photo Bundesarchiv.
Photographe : Vennemann, Wolfgang.
Titre de la photo : Au Sud de la France, Toulon. - « Opération Lila ». - Navires de guerre français (destroyers) auto-coulés dans le port.
Reproduction et diffusion interdites sans accord de la Bundesarchiv.

Panorama spectaculaire !
Remarque personnelle de Cima Raymond : « en 1950, j'avais 7 ans et mes parents, pour me récompenser d'avoir été « sage » pendant le trajet en auto, depuis Nice, m'ont emmené en petit bateau de tourisme, voguer dans la rade de Toulon.
Il restait encore, à l'époque, quelques bâtiments coulés dont seules les cheminées étaient à fleur d'eau et très près desquelles le bateau de tourisme naviguait avec plaisir !
Devant ce spectacle... qui m'a fait peur, j'ai regretté d'avoir été « sage » en auto !
»


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Photo du 27 novembre 1942. Toulon. Sabordage du croiseur « La Marseillaise ».
Photo Bundesarchiv.
Photographe : Vennemann, Wolfgang.
Titre de la photo : Au Sud de la France, Toulon. - « Opération Lila ». - Navire de guerre français en feu dans le port (Croiseur léger « La Marseillaise » de la classe Galissonnière). Au premier plan, deux soldats allemands.
Reproduction et diffusion interdites sans accord de la Bundesarchiv.


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Photo du 27 novembre 1942. Toulon. Sabordage de destroyers. Au premier plan, un soldat allemand contemple le spectacle.
Photo Bundesarchiv.
Photographe : Vennemann, Wolfgang.
Titre de la photo : Au Sud de la France, Toulon. - « Opération Lila ». - Navires de guerre français (destroyers) auto-coulés dans le port.
Reproduction et diffusion interdites sans accord de la Bundesarchiv.


Pour Fornari Andrée...

En résumé, le débarquement anglo-américain en Afrique du Nord (au Maroc et en Algérie) eut pour conséquence, en France métropolitaine, que les Allemands et les Italiens, « pour protéger le régime de Vichy » contre une éventuelle agression anglo-américaine, occupèrent aussitôt la « zone libre » et se la partagèrent : Sud-Ouest aux Allemands et Sud-Est aux Italiens.
Mais, pour Fornari Andrée... cette situation ne changea rien car le statut de Menton, annexée en 1940 par l'Italie, ne fut pas modifié pour autant. La ville resta annexée à l'Italie. De son côté, Fornari Andrée était réfugiée et resta réfugiée !


Septembre 1943. Première libération de Menton.

8 septembre 1943. Première libération de Menton.

« Problèmes » militaires et politiques en Italie.

Après le débarquement anglo-américain de 1942 en Afrique du Nord, les troupes des Alliés auxquelles se sont jointes celles de la France libre (dissidentes par rapport au gouvernement de Vichy), ont refoulé les troupes italiennes et allemandes, de la Tunisie vers l'Italie du Sud. Puis, début juillet 1943, elles sont elles-mêmes passées en Italie du Sud (Sicile).

Fin juillet 1943, le « Grand Conseil du Fascisme » (organe le plus important du pouvoir fasciste) constate que, militairement parlant, les Italiens sont en train de perdre la guerre. Il vote alors la remise du pouvoir du Duce entre les mains du roi d'Italie. Le roi l'accepte, fait arrêter Mussolini et nomme à sa place, comme chef du gouvernement, le maréchal Badoglio. On entre alors, en Italie, dans une période de pleine confusion assimilable aux prémices d'une guerre civile entre les tenants de la légalité, c'est-à-dire de la fidélité au roi d'Italie, et les tenants du fascisme, derrière Mussolini.

Le maréchal Badoglio entame aussitôt des pourparlers avec les Alliés afin de cesser les hostilités contre eux. L'armistice est secrètement signé le 3 septembre 1943, dans la ville de Cassibile (en Sicile), puis rendu effectif le 8 septembre 1943. Les troupes italiennes, fidèles au nouveau gouvernement, quittent aussitôt le Sud-Est de la France, Menton comprise. D'autres troupes italiennes passent sous commandement allemand.

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Photo septembre 1943. Soldats allemands (mal visibles dans l'ombre, en bas à droite de la photo) sur la route nationale italienne n°1 (SS1), donc côté Italie, juste après la frontière.
Les Alpini, un peu rapidement « poussés » par les Allemands pour quitter Menton (à gauche de la photo), ont fait sauter la route derrière eux, le 10 septembre 1943.
Photo Bundesarchiv.
Photographe : Jesse.
Titre de la photo : Italie, Mentone / France, Menton. - Soldats allemands sur la SS1 (Italie) Via Aurelia détruite. PK Assistant de guerre Groupe D.
Reproduction et diffusion interdites sans accord de la Bundesarchiv.


Septembre 1943. Fornari Andrée retourne enfin dans sa maison !

Les Allemands ont alors immédiatement remplacé les Italiens dans le Sud-Est de la France. Du coup Menton, qui avait été annexée par les Italiens en 1940, est redevenue française à part entière en 1943 et est passée au gouvernement de Vichy [sous contrôle, bien sûr, des armées d'occupation allemandes].
Aussi, nous avons alors pu revenir habiter chez nous, à la villa Touquignousa.

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Photo prise plus tard, en août 1945, devant le portail de la Touquignousa. Fornari Andrée est à gauche de la photo, à côté de sa soeur et de son père.

Nous avons retrouvé notre villa totalement pillée et saccagée. Vaisselle disparue ou cassée ; même celle de prix que mon père avait soigneusement cachée dans le pigeonnier, situé au-dessus de la maison, est inutilisable. Les quelques rares meubles qui restaient étaient en mauvais état.

En ce qui concernait l’eau, je pense qu’elle n’avait pas été coupée. De toute façon, si elle l'avait été, nous avions une source dans le terrain des « oliviers » surplombant notre villa, de l'autre côté de la route.

Par contre, je me souviens qu'il n’y avait plus d'électricité, mais ce ne fut que très momentané car les Allemands en arrivant, ou les Italiens en partant, n'avaient certainement que coupé le courant dans la ville sans faire de dégât aux installations. L'électricité fut rétablie très rapidement.
Quoi qu'il en soit, le premier soir où nous avons réintégré notre villa, nous avons mangé sur une caisse en bois avec, pour tout éclairage, une bougie. Mais… nous étions chez nous !

Au début de cette période, mes parents ont tenté d’élever des cochons d’Inde pour les manger mais… ils ont très vite arrêté car on avait l’impression de manger des rats au goût horrible ; c’était loin d’être appétissant.

Mon père a, petit à petit, tout remis en ordre de marche à la Touquignous. Il a cultivé notre jardin et réaménagé le poulailler et le clapier, ce qui fait qu’au bout de quelques semaines de dur travail et l'aide des services de la Préfecture qui distribuait un peu de nourriture, nous ne pouvions plus nous plaindre de la faim, sauf au sujet du pain, toujours rare.


Occupation allemande

Septembre 1943 - Septembre 1944. Menton sous l'occupation allemande.

Occupation ou supervision discrète... au début !

Nous n'avons pratiquement jamais eu affaire aux soldats allemands. Certains d'entre eux logeaient à la « villa rouge » [grande villa peinte en rouge, à l'origine propriété d'Anglais fortunés, située à 200m après la Touquignousa en venant de Menton].

On les voyait donc passer devant notre portail, mais ils étaient la plupart du temps en voiture et lorsqu'ils étaient à pieds ou à vélo, ils nous saluaient en passant.

Une fois, une de leurs voitures était en panne, juste devant notre portail. Je suis allée voir ce qui se passait. L’un de ses occupants est sorti et m’a proposé du pain. Comme j’ai refusé, j'ai eu peur de l'avoir froissé mais, si c'était le cas, il n'a rien laissé paraître et est remonté dans l'auto.

De temps à autres, la nuit, j’entendais des hurlements provenant de la « villa rouge ». Je suis allée dire à la police qu’ils devaient torturer des gens dans cette villa mais personne ne m’a cru, ou on a fait semblant de ne pas me croire ; cependant, même à l’heure actuelle, je reste persuadée qu’il se passait parfois des choses étranges et inavouables dans cette villa !

Enfin du travail !

Comme l'Administration française était de retour à Menton, tous les services français étaient à réorganiser et à pourvoir. Mon père et moi avons alors trouvé du travail au commissariat de police.

Moi, je m'occupais ponctuellement du rationnement de la population et de la distribution de nourriture. Mon père, lui, avait une très belle écriture aussi avait-il été employé comme civil au secrétariat du commissariat. Il était chargé, entre autres, des cartes d’identité.

Inquiétudes allemandes. Zone Réservée Alpestre.

En février 1944, les Allemands inquiétés par l'avancée des Alliés par le Sud de l'Italie ainsi que par un éventuel débarquement des Alliés dans le Sud de la France, décrètent le littoral de la Côte d'Azur « Zone Réservée Alpestre ». À ce titre, ils y renforcent la sécurité ainsi que leurs positions. Et pour ces raisons, de nombreux mentonnais, vivant en bordure de mer, sont alors de nouveau déplacés.
À ce sujet, Fornari Andrée ne nous a rien dit de spécial d'autant plus que ce déplacement de mentonnais ne concernait pas ses parents habitant sur les hauteurs de Menton.

7 juillet 1944. La Gestapo arrête le commissaire de police Harang Victor.


Photo du commissaire Harang Victor. Son petit-fils, Houzé Pierre, nous l'a adressée, en mémoire de son grand-père qu'il n'a malheureusement pas pu connaître.

En juillet 1944, la Gestapo a tout à coup fait irruption dans le commissariat. Les Allemands sont allés directement dans le bureau du commissaire Harang et l’ont arrêté, lui reprochant son intelligence avec l'ennemi et les fausses cartes d'identité qu'il aurait fournies à certains. Puis ils sont aussitôt repartis. Moi je n’y étais pas.

Plus tard, la Gestapo est venue à la Touquignousa. Ses hommes nous ont dit qu'ils cherchaient des renseignements au sujet des italiens qui avaient occupé notre villa pendant tout le temps que nous étions réfugiés.
Heureusement, mon père était dans le jardin et ne les a pas vus. Autrement, en tant que salarié du commissariat et vu l'arrestation récente du commissaire, il aurait été très inquiet en les voyant arriver chez nous.
Comme ma mère et moi ne savions rien sur ces italiens, à part qu’ils avaient laissé notre villa dans un triste état, ils sont vite repartis.

Le commissaire a été fusillé quelques temps après, [le 15 août 1944] à Nice, où il avait été interné.



Houzé Pierre : « Photo de mon grand-père, le commissaire Victor Harang (Pâques 1944). Il se savait en danger.

La deuxième photo a été prise le même jour, au même endroit. Le commissaire est avec ma mère, sa fille, Marie-France.
»


15 août 1944. Débarquement des Alliés en Provence : opération « Dragoon ».

L'opération « Dragoon », moins médiatisée que l'opération « Neptune » (débarquement Allié en Normandie, le 6 juin 1944), ouvre un 4ème front européen face aux armées allemandes (1er en Russie, 2ème en Italie, 3ème en Normandie, 4ème en Provence).

Le jour même (15 août), en représailles au débarquement, et pour intimider la population,
à Nice, quartier de l'Ariane, la Gestapo fusille 23 otages, dont le commissaire Harang.

Hommages au commissaire Harang Victor.


Photo de la plaque commémorative, à Menton, devant le commissariat de police :
«À la mémoire de Victor HARANG commissaire central de Menton mort au champ d'honneur. Fusillé par les Allemands le 15 août 1944. La Patrie reconnaissante. »

Une place porte le nom du commissaire Harang Victor, dans la commune de Roquebrune-Cap-Martin, ville voisine de Menton.

Une rue de Chalonnes-sur-Loire (commune du département du Maine-et-Loire), dans l'Ouest de la France, porte aussi le nom du commissaire Harang Victor.
Son petit-fils, Houzé Pierre, nous a précisé, à ce sujet, que cette ville était le berceau de la famille Harang et que son neveu aujourd'hui décédé (docteur Harang Jean-Pierre), en tant qu'adjoint au maire de la ville, était à l'origine de cet hommage à son oncle.


Hommage du journal « Combat » édition de Menton du mardi 26 septembre 1944, lendemain de la célébration d'une messe de deuil à la mémoire du commissaire, en l'église du Sacré-Coeur de Menton.
Cette messe a pu être célébrée à Menton car, comme nous allons le voir plus loin, entre temps les Allemands avaient quitté la ville !

« A la mémoire de M. Victor HARANG,
Martyr de la Libération.

C'est quelques années avant la guerre que M. Victor Harang fut nommé Commissaire de Police à Menton. Nous eûmes alors la joie de nous compter parmi ses meilleurs amis et d'apprécier de plus près, peut-être, que les autres, ses grandes qualités d'âme et de coeur.

Esprit très cultivé, foncièrement juste et bon, M. Victor Harang n'avait qu'un seul souci en ses fonctions souvent si délicates : l'équité.

Quand l'évacuation vint, il partit le dernier, ...et quand il estima son rôle ici provisoirement terminé ! Ses vacances ne devaient pas durer longtemps. Bientôt, en effet, il était désigné pour un des postes les plus importants du département : la 3° arrondissement de Nice.

Là, tout comme à Menton, il ne devait pas tarder à s'affirmer, à donner toute sa mesure. Les Niçois, tout comme les Mentonnais, l'adoptèrent et l'aimèrent.

Puis vint le départ des chemises noires... Là non plus il n'hésita pas. Il réclama son poste, celui de Menton, malgré qu'il lui en coûta de se séparer provisoirement de sa famille et d'abandonner un poste de choix pour des fonctions peut-être moins importantes mais auxquelles il était si attaché !

Courageux à l'extrême, il évita à nombre de nos concitoyens bien des « désagréments ». Nous nous souvenons encore, et avec quelle émotion, de la promptitude avec laquelle il sut personnellement nous tirer, nous qui écrivons ces lignes, des griffes de la Gestapo !
Pensait-il, alors, que lui-même allait devenir une des victimes de cet ignoble organisation ?

Hier à 10 heures, la population mentonnaise vint en foule lui rendre hommage, à l'église du Sacré-Coeur où un service religieux était organisé en sa mémoire.

Entourant Mme Harang et sa fillette, on notait la présence du Dr Camaret, président et des membres du Comité de Libération de Menton ; du... »

...et le journaliste note alors la longue liste des officiels ayant participé à cette messe.

Pour en savoir plus sur les actions du commissaire, voir le site :
https://maitron-fusilles-40-44.univ-paris1.fr/spip.php?article177207

Septembre 1944. Deuxième libération de Menton.

6 Septembre 1944. Deuxième libération de Menton.

Fin août 1944. La population de Menton vit dans l'inquiétude

Les armée alliées, débarquées en Provence, ont pour mission première de foncer vers le Nord (Lyon), afin de ralentir les éventuels renforts allemands envoyés en Normandie. C'est ce qu'elles font.
En même temps, pour protéger leur flanc droit, de petites Unités progressent vers la frontière italienne, se heurtant à une résistance allemande non négligeable.

Dans ce contexte, les Allemands et les milices fascistes se vengent parfois sur les civils. Le quotidien du Sud-Est « Combat » (que nous avons consulté au service des archives de la ville de Menton), publie par exemple dans son édition du 12 septembre :
« Menton aura lourdement payé sa libération (...) Le 29 août, vers 18 heures, (...) la Maison Taglioni était attaquée. Résultat : cinq hommes massacrés littéralement à coup de crosses, de talons et de mitraillettes [par les Allemands]. (...) Le soir même, les miliciens fascistes [ceux non fidèles au roi d'Italie] (...) fusillaient à bout portant le « chef » Deparday alors qu'il venait très paisiblement de surveiller ses lapins et ses poules.
Pendant plusieurs jours Menton vécut d'ailleurs dans la plus intense terreur. (...)
».

Le 6 septembre 1944 - Les Allemands quittent Menton.

Devant l'avancée des troupes alliées, les Allemands préfèrent quitter les zones côtières étroites et difficiles à défendre. Ils se réfugient à l'Est, derrière la frontière italienne, et au Nord, dans les montagnes environnantes du mentonnais.

Les Allemands sont partis tard le soir. Mon père était près du portail de la Touquignousa et il a vu passer le dernier Allemand qui descendait rapidement vers Menton, à bicyclette. Il nous a dit, juste après : « je me suis demandé ce qu’il faisait seul à descendre aussi vite. Puis j’ai aussitôt entendu une énorme explosion ».

Il y eut ensuite une grêle de petits cailloux autour de lui. Le pont du Baousset, situé à 100m après notre villa, venait de sauter, coupant la route conduisant à Castellar.

Une grosse pierre a traversé le toit, au niveau de ma chambre où j’étais couchée, avec ma cousine Monique. La pierre a failli nous tomber dessus. Lorsqu’elle a traversé le plafond elle a fait un gros trou et de nombreux gravats. La moustiquaire que j’avais au-dessus du lit a évité que je ne reçoive les gravats.


En partant, les Allemands ont aussi détruit le bloc 3 de l'ouvrage du Cap Martin (ligne Maginot) dont les obusiers de 75/29 étaient orientés vers la montagne, une de leurs destinations de repli.
Photo Moulins Jean Jacques.
Reproduction et diffusion interdites sans accord du photographe.


Après le départ des Allemands, nous avons eu une importante coupure d'eau et d'électricité.

Le journal « Combat » écrit, à ce sujet, que l'électricité a été rétablie le samedi 9 au matin et que l'eau ne l'a été que le 12 !

Un pont provisoire remplace celui du Baousset.

Le pont de pierre du Baousset, qui a sauté près de la Touquignousa le 6 septembre 1944, est remplacé quelques semaines plus tard, par un pont provisoire de bois.


Sur cette photo on voit Fornari Andrée sur ce pont provisoire.
À ses côtés un homme, dont elle ne se souvient plus du prénom, pose, un panier à provisions bien garni en main. Il fait partie de l'Unité à l'origine de la construction de ce pont provisoire.

Mais de quelle Unité s'agit-il ? Une célèbre Unité de commandos, comme nous allons le voir.


La « Brigade du Diable » entre dans Menton.

Le 8 septembre 1944, la « Brigade du Diable » entre dans Menton.

Un matin, au réveil, en sortant de chez nous, nous nous sommes trouvés face à une troupe d’Américains et de Canadiens, à pieds. Ils montaient de Menton, lentement et avec précaution, passant en file indienne devant notre villa en rasant le grand mur de soutènement des « oliviers ».

La « First Special Service Force » (FSSF), surnommée « Brigade du Diable » ou « Devil's Brigade », venait d'entrer dans Menton !

Quelques mots de présentation de cette FSSF.


Photo : insigne de la « Brigade du Diable ».

C'est une unité de forces spéciales américano-canadiennes intégrée à l'armée de terre des États-Unis. Ses commandos devaient être parachutés sur des objectifs arrière de l'ennemi ou devaient attaquer leurs fortifications entre autres en montagne.

Créée en juillet 1942, après un entrainement exceptionnel elle était opérationnelle un an plus tard.
-En août 1943 elle était envoyée dans le Pacifique.
-Entre décembre et juin 1944 elle combattait en Italie où elle a été l'une des premières Unités à entrer dans Rome.
-Le 14 août 1944 elle débarquait sur les îles d'Hyères où elle neutralisait les cinq forts de la défense côtière allemande, zone redoutable du débarquement en Provence.
-Le 8 septembre 1944 elle entrait à Menton et y restait jusqu'à sa dissolution le 5 décembre 1944.

La FSSF a reçu la Croix de Guerre française, pour son héroïsme. Dans les années 1950 son souvenir fut à l’origine de la création des Forces spéciales américaines, et en 2013, le Congrès des États-Unis adopta un projet de loi afin de lui attribuer la médaille d'or du Congrès.



Plaque commémorative à Menton.
« In Memoriam. La "First Special Service Force" américano-canadienne libéra Menton le 8 septembre 1944, précédant trois mois de difficiles combats à la frontière franco-italienne pour soutenir le flanc droit des armées Alliées. Au cours de ces opérations pour la libération du Sud de la France 66 soldats furent tués et plus de 200 gravement blessés. Ce mémorial leur est dédié en témoignage de reconnaissance et pour ne pas les oublier. »


Relations avec la FSSF

Fornari Andrée et les hommes de la FSSF.

Quelques jours plus tard, j’étais avec certains des Américains qui campaient dans « nos oliviers », lorsque ma mère m'appelle, affolée. Je suis alors vite descendue. Elle était avec un Américain et, en pleurs, elle me dit qu’on allait nous évacuer de nouveau pour miner notre campagne.
Je dis alors à l’Américain (j'ai su plus tard qu'il s'appelait William) : « on a déjà été évacués pendant presque 4 ans et maintenant vous voulez nous faire repartir pour mettre des mines chez nous ! »
L’Américain, semble-t-il compatissant, nous a alors répondu qu’il allait en référer à son chef.
Le lendemain, William est revenu et nous a dit qu’on pouvait rester chez nous car il ne minerait pas notre campagne.


Sur cette photo nous voyons trois hommes de la FSSF.

Nous sommes ensuite devenus amis avec ces Américains. La première chose qu’ils nous ont offerte était du sel de cuisine ! Je n’ai jamais ni su ni compris pourquoi !

Ils venaient à la maison. On jouait du piano, rare meuble que les Italiens nous avaient laissé en partant en 1943 ; il devait être trop lourd ou trop encombrant pour eux au moment de leur fuite.

Presque chaque fois, en repartant de chez nous, ils nous laissaient du chocolat en cadeau et je n’ai jamais su qui le laissait car je trouvais le paquet sur le piano, après leur départ.



Photo de William à Menton.

J’ai revu ensuite William en particulier. Il était très sympathique et nous nous sommes rencontrés très fréquemment.



Autre photo de William, mais cette fois-ci en Italie, quelques mois plus tôt.

Photo qu'il m'a donnée un jour.



Cette autre photo de William, que nous avons retrouvée dans l'album de Fornari Andrée, ne portait pas d'autre annotation que « At Home ».


William logeait avec toute une équipe dans une maison à l'extrémité du Boulevard de Garavan près du Pont Saint Louis [donc près de l'avant-poste « Maginot » du SFAM] et j’allais le rejoindre à bicyclette.
Lorsque j'allais le voir, il était souvent avec des soldats qui me faisaient la cour, mais (par jalousie ?) il me disait de ne pas les écouter et de m’éloigner d’eux car ils étaient « japonais » !!!


Photo dans le jardin de la maison occupée par William et son équipe.
Fornari Andrée est assise à côté d'un certain Pucy, lui aussi de la 1st Special Service Force.

« Pucy » est photographié seul, sur la photo de droite.


Les Allemands n'étaient pas très loin, dans les montagnes

Extrait du journal « Combat » du dimanche 17 et lundi 18 septembre 1944 : « Durant toute la nuit du Samedi au Dimanche, l'artillerie ennemie n'a pas cessé de pilonner Menton sur laquelle près de 200 obus sont ainsi tombés. Fort heureusement, si on signale de nombreux dégâts, on ne déplore aucune victime. »

Et encore... Extrait du journal « Combat » du jeudi 21 septembre 1944 : « (...) les duels d'artillerie se poursuivent nuit et jour.
Menton la douce, la ville calme par excellence, ne cesse de connaître, depuis plus de 20 jours, le bruit infernal du canon, dont les salves répercutées par tous les échos d'alentour résonnent sans arrêt dans les vallées et sur les collines (...)
Menton qui a déjà tant souffert en 1940, dont la population a eu deux occupations successives, continue néanmoins, avec un grand courage, à supporter son triste sort. Menton aura bien mérité de la Patrie !
»

Fornari Andrée ne semblait pas avoir peur.

Les tirs des Allemands étaient incessants sur Menton. Mais ils étaient dirigés sur la ville et les villages alentours. Et à la Touquignousa nous ne recevions pas d'obus et nous étions... relativement tranquilles.

J'ai eu peur un jour. J'allais rejoindre William. Les Allemands ont tiré sur une charrette à cheval qui circulait sur le boulevard de Garavan, pas loin de moi, et le cheval a été tué. Là j'ai eu peur, mais sans plus ! Était-ce à cause de l'habitude des bombardements ou de l'insouciance de mes 20 ans ?...

...Où d'une certaine indifférence forgée par les circonstances, car la vie à Menton était très difficile à tous points de vue : économique, politique, sociale. Les disputes, voire plus, engendrées par les ressentiments liés aux deux occupations successives, étaient courantes, entre autres entre pro et anti-fascistes supposés.

Dans Menton, de temps à autres, sur les escaliers de la mairie, une foule se massait pour voir des maquisards tondre des femmes qui avaient été convaincues d’avoir couché avec des Italiens ou des Allemands. Moi, je n’aimais pas voir ce spectacle que je trouvais odieux et inutile. Lorsque je passais par hasard au mauvais moment, je m’en éloignais.
Qu’est-ce que ça apportait de plus à la population de Menton ? Un jour, une femme au crâne rasé, s’est d’ailleurs parait-il vantée de plaire encore plus aux hommes que lorsqu’elle avait ses cheveux !


Fin du témoignage

Fin du témoignage.

Dernières photos

Début décembre 1944, leur Unité a été dissoute et, avant leur départ de Menton, nous avons fait toute une série de photos-souvenirs, entre autres sur le pont du Baousset.


Photos prise début décembre 1944 à l'entrée Sud du pont provisoire, en bois, situé à 100m de la Touquignousa.
On y voit Fornari Andrée aux côtés de l'un des membres de la FSSF, sur le capot de son véhicule.

Nous avons photographié le même endroit 74 ans plus tard, en août 2018 !
Il n'a pas trop changé d'aspect, mis à part le pont du Baousset reconstruit en pierres et, à gauche de la photo, une toute petite partie d'un pont du tronçon de l'autoroute A8 conduisant à la frontière italienne depuis bien après-guerre (1969).



Photo prise sur le pont du Baousset, le même jour que la précédente photo.

La photo d'adieu.
Après-guerre William est retourné aux États-Unis où il a fondé une famille avec laquelle j'ai continué à communiquer de temps à autres.
Je ne l'ai plus jamais revu mais je ne l'ai jamais oublié !


Épilogue

Épilogue.

Cima Evelyne et Raymond :

« De la bouche de Madame Fornari Andrée, nous aurions aimé en apprendre beaucoup plus sur cette prériode très tourmentée de l'Histoire locale de Menton car, en décembre 1944, la guerre n'était pas terminée et des troupes allemandes occupaient encore des environs montagneux de la ville.

Elle en savait énormément, Madame Fornari Andrée, et ce d'autant plus qu'elle avait fait toute sa carrière à Menton, au journal Nice-Matin, depuis la fin de la guerre, et connaissait donc beaucoup de monde susceptible de nous renseigner sur les opérations françaises de 1945 (opération « Canard » du 10 au 25 avril 1945, opération « Pingouin » du 25 avril au 2 mai 1945) ! Mais... nous devions retourner en région parisienne et nous avons donc suspendu nos visites à Fornari Andrée. Trois mois plus tard, avec grande tristesse, nous apprenions son décès !

Nous avons alors décidé de refermer ce dossier sur les dernières images d'une rencontre éphémère de 1944 entre Madame Fornari Andrée et des militaires de la FSSF lui ayant laissé un souvenir plus que durable. »


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Commentaires

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Commentaires d'internautes

Bonjour
Je suis le petit fils du Commissaire Victor Harang et j'ai beaucoup aimé vote site /témoignage
Toujours a la recherche d'informations sur son arrestation et sa vie de ce grand-père que je n'ai pas connu.
Cordialement. Pierre Houzé, petit-fils de Victor Harang et fils de sa fille Marie France HARANG.
Bonjour Monsieur
Je viens de découvrir votre ajout et les photos de mon grand père et de ma maman….Grande émotion ! C’est parfait! Merci beaucoup.
Pierre Houzé
Grazie. Zulu.

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E-R Cima, kaff.