../s3_ae.gif Ligne Maginot - Effet mécanique Hopkinson_. Document réalisé grâce à l'aide technique du Colonel d'Artillerie Roland_Gras que nous remercions vivement et à divers documents du SHAT_ SHD_, de l'ENS_Cachan et de Bernard_, Evelyne_ et Raymond_Cima ©2000-2019.

Effet mécanique Hopkinson.
Dossier n°1 : effet sur le béton.
(Effets de choc)

Duel : arme contre cuirasse

Le duel : arme contre cuirasse

Une fortification n'a de valeur que si elle peut résister à l'armement existant.

De tout temps l'avenir des fortifications a été intimement lié aux armes existantes (duel : arme contre cuirasse).
On crée une première fortification qui résiste à une première arme. Du coup la fortification entre dans la stratégie de défense et devient florissante.
Puis on crée une deuxième arme qui perce la fortification. Cette dernière devient obsolète et est momentanément reléguée au second plan, voire abandonnée.
Puis, la technologie aidant, apparaît une nouvelle fortification qui résiste à la deuxième arme et la fortification renaît. etc.

Grande Guerre et fortifications

Au lendemain de la guerre de 14-18, les fortifications, délaissées en 1915, ont le vent en poupe, entre autres grâce à leur résistance victorieuse à Verdun. Aussi tous les pays vont-ils vouloir en construire, d'autant plus que les préférences de l'opinion publique, surtout après une guerre très meurtrière, penchent souvent plus vers la défensive que vers l'agressivité.

Nouvelle fortification

Mais avant de construire du neuf on étudie le potentiel des armes existantes, le but étant qu'elles ne neutralisent ni le personnel ni les installations intérieures des futures fortifications.

Classiquement, les actions des armes sont de deux types :
-action directe de leurs projectiles, après choc ou pénétration dans la forteresse,
-action indirecte, par pénétration du contenu des projectiles (gaz toxiques...) ou par leurs effets physiques (souffle d'explosion, effet mécanique Hopkinson...)

Objet de notre dossier

Dans ce document nous nous intéresserons tout particulièrement à l'effet mécanique Hopkinson ; pas à celui électromagnétique de John_Hopkinson, bien connu des physiciens, mais à celui mécanique de Bertram_Hopkinson (le fils du précédent) ; effet mis en évidence à la suite d'un choc sur la paroi d'un objet.


Effet mécanique Hopkinson
Constat

L'effet mécanique Hopkinson. Constat sur une paroi de béton

Deux hommes se croient bien protégés derrière une épaisse couche de béton. Tout à coup arrive un obus.

photos/hopk_0.gif

Clic : Animation de l'image


On remarque que les hommes ont été tués alors que l'obus n'a PAS traversé la muraille de béton !

On remarque, aussi, que dans la casemate, au niveau de l'impact de l'obus, une partie du béton s'est détachée. Et cette partie détachée (appelée « ménisque ») a été projetée sur les occupants de la casemate et les a tués !


Explications

Pas à pas, que s'est-il précisément passé ?

photos/hopk_0.gif

Deux hommes se croient bien protégés derrière une épaisse couche de béton. Tout à coup arrive un obus.


photos/hopk_1.gif

L'obus éclate (ou ne fait que s'écraser) sans pénétrer dans l'obstacle. Mais il crée un train d'ondes de choc.


photos/hopk_2.gif

Ce train d'ondes créé (ainsi que la déformation élastique qui lui est associée) se propage, telles les ondes P des tremblements de terre, jusqu'à l'intérieur de la casemate.


photos/hopk_3.gif

Au changement de milieu entre le béton et l'air, chaque onde arrivant sur la surface intérieure de la casemate, donne naissance à deux nouvelles ondes :
-l'une, réfractée (non représentée), poursuit son chemin dans l'air intérieur de la casemate où elle occasionne du bruit ;
-l'autre est réfléchie dans le béton.

Les ondes réfléchies, en rebroussant chemin, interfèrent avec les autres ondes qui continuent d'arriver, et créent des contraintes dans le béton. En certains points, ces contraintes dépassent la limite de résistance mécanique du béton.


photos/hopk_5.gif

Le béton se rompt alors et un ménisque se détache de sa paroi.


photos/hopk_6.gif

Le ménisque est projeté sur les hommes d'équipage. Parfois, le ménisque se fragmente et donne une grêle de gravas encore plus dangereuse que lui, car plus largement étalée.


photos/hopk_7.gif

On constate que le béton n'est pas percé...


photos/hopk_8.gif

...que l'obus n'a pas pénétré dans la casemate mais que,...


photos/hopk_9.gif

...malgré la résistance de la paroi, les hommes sont tués et le matériel endommagé à cause de ce transfert particulier d'énergie après le choc de l'obus sur le béton. C'est l'effet mécanique Hopkinson.


photos/hopk_10.gif

Ni l'épaisseur de la paroi, ni sa résistance au percement, ne peuvent contrer l'effet mécanique Hopkinson dont l'intensité dépend, entre autres, de la force avec laquelle l'obus a percuté le béton.


photos/hopk_11.gif

L'obus n'a pas besoin d'être spécial ; il doit frapper fort la paroi.


L'effet est, bien sûr, le même lorsqu'il s'agit d'une dalle sur laquelle tombe une bombe. Toutes les parois qui peuvent être atteintes par un projectile sont donc susceptibles d'être dangereuses.

Le constat est clair. On peut croire que matériels et hommes sont à l'abri, derrière une épaisseur de béton qu'aucun projectile ne peut percer, et il n'en est rien ! À cause des ondes produites lors du choc, même sans pénétrer, un projectile peut faire des dégâts importants par effet mécanique Hopkinson.


Idée du phénomène, sans parler d'ondes

Idée du phénomène, sans parler d'ondes

Pour se faire une « représentation partielle » du phénomène que l'on vient de présenter, sans parler précisément d'ondes, nous allons emprunter un exemple rappelé par le lieutenant-colonel Lazard, professeur à l'École militaire et d'application du Génie, dans son cours de fortification publié en 1931.

Si vous êtes intéressé par ce cours, il est consultable par exemple sur le site Gallica de la BNF.


Extrait du cours

Le choc d'un projectile sur l'extrados d'un local bétonné détermine fréquemment la chute d'un ménisque même si le ciel du local n'est pas percé.
Le ménisque d'intrados paraît se former par un mécanisme analogue à celui qu'on présente dans les cours de physique sous l'aspect d'une série de pendules à boules d'ivoire qui sont tangentes entre elles.

NDLR : En d'autres termes, il s'agit d'un pendule de Newton avec lequel chacun d'entre nous a sans doute déjà joué.


Si l'on écarte de la verticale un des pendules extrêmes et qu'on le laisse retomber sur son voisin, les billes des pendules intermédiaires subissent des déformations élastiques qu'elles transmettront à leurs voisines sans que leur centre de gravité ait paru se déplacer ; la dernière bille, seule, n'étant pas contrebutée par une suivante s'écarte de la verticale et le dernier pendule prend une élongation comparable, quoique plus faible, à celle du premier.

Un phénomène analogue se passe dans le béton sous l'action d'un choc (...)

Remarque 1 : en début de ce chapitre nous avons noté « représentation partielle » car cet exemple n'explique pas la cause ondulatoire du détachement du ménisque représenté ici par une boule DÉJÀ détachée. Cependant la comparaison nous a tout de même semblé très « pédagogique ».

Remarque 2 : dans ce dossier nous parlons « d'effet mécanique Hopkinson » alors que l'armée française, pour décrire le même phénomène, parle exclusivement « d'effets de choc ». Pourquoi faisons-nous référence à Hopkinson ? Car il se trouve que c'est le Britannique Bertram_Hopkinson (1874-1918) qui a fait des études et des expériences précises et quantifiées dans ce domaine et les a publiées en 1914 (les effets de choc étaient cependant déjà connus avant Hopkinson).


Les protections

Les protections contre l'effet mécanique Hopkinson existent

On peut, par exemple, minimiser les ondes de choc en les absorbant, comme avec les blindages composites des tanks actuels, et donc minimiser la formation du ménisque ; mais de tels matériaux n'existaient pas au début du XXe siècle.

Les deux solutions simultanément appliquées dans la ligne Maginot

La solution la plus simple, elle aussi appliquée dans d'autres fortifications antérieure à la ligne Maginot : doubler les parois, exposées aux coups, par un blindage (représenté ici en vert) retenant les ménisques.


Une solution pour le béton armé : éviter le départ du ménisque en retenant ce dernier avec un treillage métallique dans le béton lui-même (treillage représenté ici en rouge).


Solution utilisée dans la ligne Maginot : double protection.


Applications à la ligne Maginot
Béton armé de la ligne Maginot

Le béton armé de la ligne Maginot

Le béton n'a besoin d'être protégé que dans ses parties susceptibles de recevoir des coups : façades et dalles des blocs. Les autres parties ne nécessitent pas de protections spéciales coûteuses.

Il est intéressant de constater que, dès la fin de la Grande Guerre, avant même que les observations relatives aux effets destructeurs des projectiles allemands n'aient été toutes analysées, avant même que des expériences ne soient venues compléter ces observations, les remarques -à chaud- sur le comportement du béton préfigurent déjà ce que vont être les futures casemates de la Ligne Maginot : des blocs de béton armé à deux couches d'armatures métalliques (face interne et face externe) ; la couche interne protégeant contre l'effet mécanique Hopkinson.

Observation de la dalle d'un bloc passablement malmenée en 1940

photos/bambesch_b2_1.jpg

Bloc 2 du Bambesch_ (SF_Faulquemont) après l'attaque allemande du 20 juin 1940.
Photo Gérald_Goeltl.

Au-dessus du créneau on constate que l'épaisse dalle, dont l'avancée en visière a été détruite, est constituée de béton armé à sa partie supérieure et à sa partie inférieure (voir les flèches), et qu'il n'y a pas de ferraillage au centre de la dalle.


Explication pour ce système à trois niveaux de bétonnage

Au lendemain de la Grande Guerre certaines interrogations relatives au béton des ouvrages fortifiés paraissent clairement exprimées dans les cours du commandant Frossard_.

En 1920, ce dernier est professeur à l'École Militaire du Génie où il dispense un enseignement sur la fortification (dont on retrouve des phrases entières dans l'ouvrage précité du lieutenant-colonel Lazard_). Nommé par la suite général de brigade, il occupera le poste important d'inspecteur technique des travaux de fortification.

Voici ce que dit le commandant Frossard_, en 1920 :

Dans le béton armé qui a subi le choc d'un très gros projectile, les barres de fer sont le plus souvent complètement décapées. Il ne reste autour d'elles aucune trace de béton dans lequel elles étaient noyées. Il semble que l'armature en fer ait facilité la dislocation de la masse générale, probablement parce que les vibrations dues au choc violent et à l'éclatement du projectile se soient produites avec des intensités et des vitesses différentes dans le fer et dans le béton, amenant ainsi la séparation de ces deux matériaux [...]

[...] la séparation du béton des barres de fer est inquiétante. Aussi, au cours de la guerre, les Allemands et les Anglais ont-ils construit des dalles en béton, armé seulement à la partie supérieure et à la partie inférieure. Les armatures de la partie supérieure sont destinées à diminuer la pénétration du projectile dans la dalle avant son éclatement ; les armatures de la partie inférieure doivent s'opposer au détachement des ménisques [...]

Pour bétonner la ligne Maginot, les Français ont donc tout simplement pris exemple sur les bonnes techniques des Allemands et des Anglais ! Et comme, côté occupants des casemates, les armatures métalliques du béton n'étaient pas assez sécurisantes, elles ont été doublées par des plaques de blindage.


Doublage métallique

Doublage métallique dans la ligne Maginot

Pour plus de sécurité, les faces internes des dalles et des murailles les plus exposées aux coups sont doublées par des plaques de blindage de 4,5mm d'épaisseur, stoppant la projection des éventuels ménisques.

Exemple de blindage intérieur

photos/simserhof_47eh.jpg

Photo Luc_Maillot.

JM/AC47 de l'entrée des hommes du Simserhof_ (SF_Rohrbach).
Au fond, à droite, côté pouvant recevoir des coups, le mur est tapissé de plaques de blindage. En revanche, à gauche, côté qui vue sa situation ne peut pas recevoir de coups, il n'y a pas de blindage intérieur.


Autres exemples

Salle de garde du Cap-Martin (SFAM).
Photo Cima.
Le mur où est installée cette goulotte à grenades est orienté face à l'Italie, donc côté coups éventuels.
Il est doublé par un ensemble de plaques de blindage de 4,5mm d'épaisseur dont, à gauche, on aperçoit quelques boulons d'ancrage dans le béton.
À l'emplacement de la goulotte, les plaques ont été découpées au chalumeau.


Petite peinture artistique réalisée sur une plaque du blindage intérieur du bloc d'entrée de l'ouvrage du Col_de_Brouis (SFAM).
Photo Cima.


Cuisine de l'ouvrage de Fressinea_ (SFAM 65e_DI)
Photo Cima.

Seule la partie extrême de la cuisine peut être atteinte par des tirs ennemis. Seule cette partie de la cuisine est donc protégée par un blindage intérieur.


Exemples sous une dalle

photos/bichel_.jpg

Photo Marc_Zeig.

Chambre de troupe, en pleine restauration, à l'Abri du Bichel_Sud (SF_Thionville).
Les plaques de blindage du plafond sont bien visibles dans cette chambre de l'étage supérieur de l'abri.
Si nous étions à l'étage inférieur, le plafond n'aurait pas de doublage métallique.


photos/bichel_.jpg

AC47 du bloc 3 de l'ouvrage de Fressinea_ (SFAM 65e_DI)
Photo Cima.

Le plafond plat de la casemate est blindé tout comme l'arrière du casier à munitions, tous deux exposés à d'éventuels coups.


Curiosité

Curiosité CORF

Casemate avec JM/AC37 de l'avant-poste du Pont Saint_Louis (SFAM).
Photo Cima.

Cet avant-poste a été construit par la CORF, donc, en théorie tout au moins, dans les règles de l'art dictées par cette commission. Sa casemate active est frontale, à 20 mètres de la frontière.

Regardez bien son mur de façade, armé d'un FM, d'un JM/AC37 (absent) et d'une goulotte à grenades. Il n'est pas doublé par un blindage malgré sa situation face à l'Italie !! Et les traces que l'on voit sur son plafond sont des traces de coffrage et non pas des plaques de blindage.
Quelle mouche a donc piqué la CORF pour faire réaliser une telle... une telle... curiosité ?


Hopkinson père et fils

Hopkinson père et fils

John_Hopkinson : le plus connu des deux

John Hopkinson (1849-1898) est spécialiste dans le magnétisme. Pour un matériau ferromagnétique, l'effet Hopkinson se traduit pas une aimantation du matériau qui augmente brutalement juste au-dessous de la température de Curie (voir les pages Internet spécialisées dans ce domaine car il ne s'agit pas du sujet de notre document).

Bertram_Hopkinson

Bertram Hopkinson (1874-1918), fils ainé de John, est professeur de mécanique à l'Université de Cambridge. Pour l'étude et la mesure des effets des contraintes dynamiques sur les matériaux, il a réalisé (amélioré celui créé par son père), peu avant 1914, un système dit de barres de Hopkinson (ou barres de pression).

La barre de pression de Hopkinson utilise la propagation des ondes élastiques de compression pour produire des contraintes et des déformations dans un échantillon (pour nous, le béton ou l'acier).

Et en 1914, il a publié : « Une méthode de mesure de la pression produite par la détonation des explosifs brisants ou par l'impact des balles ». Titre original : « A method of measuring the pressure produced in the detonation of high explosives or by the impact of bullets » , Philosophical Transactions of the Royal Society of London, Volume A213, pages 437-452.

Pendant la Grande Guerre, en tant qu'ingénieur royal il est chargé de la recherche en vue d'améliorer les armes et les munitions.


Test

Test sur cet effet mécanique Hopkinson, pour se détendre.

Avant d'aller consulter un autre dossier, si le cœur vous en dit... nous vous proposons un petit test sur l'effet mécanique Hopkinson.

Clic : accès au test


.

Remarque :
Sur cet effet mécanique Hopkinson, nous avons aussi mis en ligne un « dossier n°2 : effet sur les cuirassements ».

Compléments...
Compléments

Commentaires d'Internautes

Question :
L'effet Hopkinson est-il valable aussi pour les batteries sous roc ? Il y a seulement l'embrasure du canon qui peut avoir un peu de béton. Merci. Franco O.
Réponse :
il est « valable » effectivement. Mais, sous roc, le terrain étant très souvent hétérogène et/ou avec une structure amortissant naturellement les ondes de choc, seules les embrasures bétonnées peuvent y être sensibles.
Grazie, è sempre tutto particolare. Spero un giorno di incontrarLa, Lei è una persona fantastica. Roberto G.
Un vieux dossier qui ressort c'est bien. T.F.G.
Superbe cet article. C'est vraiment intéressant de suivre vos publications. Bertrand P.
Bonjour Raymond,
l'effet Hopkinson n'est pas nouveau. Les pièces écaillées sont appelées "planchers secondaires" (en allemand Sekundär Geschosse).
Les tours blindées étaient bordées de fer doux à l'intérieur et les casemates recevaient une couverture à l'intérieur, également en fer doux.
Salutations chaleureuses. Inge et Dieter W.
Réponse :
Merci, Inge et Dieter W., pour vos précisions rappelées dans mon dossier n°2 sur cet effet Hopkinson. Cordialement.
Quel bonheur de lire cette abondante étude. Grand merci. JL

.
.
.
.
.
.
.
.
.
E-R Cima, kaff.