../s3_ae.gif Le 11 mai 1940 Ardennes. Souvenirs d'exode.
Document réalisé à partir essentiellement d'un dossier de M. Serge_Claisse, président de la section ACVG PTT (Anciens combattants Victimes de Guerre) de Margut_, que nous remercions vivement. E-R Cima ©2015.
Introduction

Introduction

E_R_Cima : Début octobre 2015, Michel et Marie-Laure Truttmann_ sont avec nous, arpentant les environs de La_Ferté, lorsque nous nous mettons à discuter, par hasard, avec un certain Serge_Claisse, habitant de Margut_. Et là, il nous apprend qu'il était déjà dans ce village, début mai 1940, lorsque les autorités ont demandé à la population de fuir en catastrophe. Ses récits nous ont intéressés au plus haut point et, avec son autorisation, nous allons vous les faire partager.


Charte graphique pour les textes du corps de document :
Textes de l'auteur (Serge_Claisse)


Serge Claisse

Serge Claisse

Monsieur Claisse_ est né le 22 mai 1932 à Margut_. Il en a été à tour de rôle premier adjoint ou maire de 1970 à 1990.

Il a fait carrière aux PTT qu'il a quittés en 1992 avec le grade de Directeur départemental dont il a conservé le titre : Directeur Départemental honoraire.

Maintenant il est Président de l'association locale des anciens combattants et Président départemental de L'association des ACVG PTT dans laquelle il siège au CA national.

Nous l'avons rencontré dans son jardin, occupant sa retraite à la campagne.


Témoignage
Avant l'exode

Témoignage

Avant l'exode

Il est difficile, 70 ans après les faits de les restituer de mémoire avec une grande précision. Néanmoins il en est certains particulièrement marquants qui sont restés gravés dans ma mémoire. Ce sont donc ceux-là, qu’à la demande de quelques amis, dont principalement ceux des Deux_Sèvres que j’ai accepté de raconter, en toute simplicité.
Tout d’abord, je préciserai que le 8 mai 40 je n’étais âgé que de 8 ans. C’est donc avec des yeux d’enfant que j’ai connu l’exode dont je me souviens très bien pour ce qui en concerne l’essentiel et m’a profondément touché. Mais, précédant cet épisode de la guerre, je n’ai pas oublié non plus les quelques mois de l’automne et de l’hiver 39/40 de la « drôle de guerre ».

Jusqu’au 10 Mai 40, nous n’avions aucune crainte des allemands, tant nous nous sentions bien protégés par la toute proche ligne de barbelés et de rails appelée « Ligne Maginot » que les dirigeants de l’époque nous affirmaient infranchissable.
Cette drôle de guerre, je l’ai vécue comme un jeu d’enfant aux cotés de soldats désemparés mais aussi parfois joyeux, creusant des tranchées ou croisant des barbelés à 200 mètres à peine de la maison que j’habitais avec ma mère, ma grand'mère, ma tante et sa fille.


Préparatifs

Préparatifs en toute hâte

Ce dont je me souviens particulièrement, c’est de cette fameuse nuit étoilée du 10 au 11 mai 40 au cours de laquelle les cloches de l’église se sont mises à sonner à toute volée vers 4 heures du matin dont nous connaissions la signification puisque la veille nous avions été informés par la mairie de l’avancée allemande en Belgique et invités à nous préparer pour une probable évacuation vers une destination non précisée.
Il faut dire aussi, que depuis la veille des convois interminables d’évacués belges avaient déjà traversé notre commune, distante seulement de 6 kilomètres de la frontière et, qu’au cours de l’après midi de la veille, toutes les vaches avaient été regroupées et parquées dans une pâture du village voisin de La_Ferté_sur_Chiers, distant de 3 kilomètres. Ma grand’mère, y avait bien sûr joint l’unique bête qu’elle possédait.

Le 11 Mai, vers 4h30 du matin toute la population se retrouvait donc sur la place de la mairie avec baluchons mal ficelés, dans lesquels étaient mêlés, tout ce qui semblait utile pour la route, ou avait pour chacun une certaine valeur sentimentale (lingerie, vêtements, couverts en argent, vaisselle, volailles, chiens, chats, etc. le tout entassé sur brouettes, vélos, poussettes d’enfants, ou sur tout ce qui pouvait en faciliter le transport.

Il avait été prévu que les 6 ou 7 cultivateurs du village et les quelques propriétaires de voiture automobile soient là avec leurs attelages ou véhicules, pour embarquer les infirmes et bagages de ceux ne disposant d’aucun moyen de locomotion. Les attelages étaient bien là, mais des voitures, il y en avait très peu, leurs propriétaires bien renseignés semble-t-il, étaient partis la veille sans se soucier de ceux qui restaient.

A notre arrivée sur la place, inutile de dire que beaucoup de chariots présents débordaient déjà avec ce que les cultivateurs avaient eux-mêmes chargé et que sur les autres, il restait très peu de place.
Là, déjà, un premier tri de bagages dut être effectué et beaucoup de balluchons restèrent sur place. La cohue et la politique du chacun pour soi et Dieu pour tous ne faisait que commencer.
Pour ce qui nous concernait, un vieil oncle handicapé de 68 ans, célibataire et vivant seul qui s’était joint à nous put malgré tout être monté sur le chariot d’un cultivateur ami et coincé entre deux matelas ou quelques bagages, qu’aussi nous avions pu y glisser.


Premiers kilomètres

Premiers kilomètres

Carte du trajet

Points extrèmes du voyage d'exode (à pieds, en wagon à bestiaux, et en camions).
Point de départ : Margut_
Point d'arrivée non connu pendant de nombreux jours : Chef_Boutonne


Suivant à pieds, derrière les chariots, nous étions vers 6 heures du matin, au lever du jour à La_Ferté, où, parquées la veille et beuglant à tout rompre, les vaches regroupées nous regardaient passer. Pour elles, c’était l’heure de la traite matinale et celle de la veille n’avait pas été faite. C’était là leur seul problème. Peu leur importait ce que nous étions entrain de vivre.
Ma grand'mère ayant reconnu la sienne parmi les autres, est donc descendue dans le pré pour lui tirer quelques litres de lait, dans une casserole, qu’avec quelques biscuits secs nous servit de petit déjeuner. Pour moi qui était enfant ce petit déjeuner pris sur l’herbe au lever du soleil, avait un coté bien amusant, c’était la découverte du pique nique. Malheureusement, on ne savait pas encore ce qui plus loin nous attendait.

Après cette première pause, nous nous sommes dirigés à travers bois via les petites routes de Malandry_ et Inor_ vers Stenay_, les grands axes étant réservés à l’armée. C’est à ce moment, que nous avons compris que c’était bien la guerre. Derrière nous, on entendait le canon qui grondait et au dessus de nous volaient à basse altitude de petits avions inconnus (les stukas) que nous regardions passer avec curiosité et inquiétude.
En arrivant à Inor_, au pont enjambant la Meuse_ nous avons cette fois, découvert le triste spectacle de la guerre, un attelage complet de 4 ou 6 chevaux, je crois, gisait pèle mêle au fond du fleuve, le chariot retourné, les chevaux rouges de sang, des bagages flottant sur l’eau. Un violent bombardement avait précédé de quelques heures notre passage à cet endroit.


Bombardements

Bombardements répétés

A partir de là, commença une longue marche de 6 à 10 jours toujours sur les petites routes de l’Argonne_ via Buzancy_, La_Croix_aux_Bois pour arriver à la commune de Les_Alleux, qui devait être le point de ralliement des habitants de notre commune.
C’est dans cette commune que nous subirent notre premier bombardement, tous allongés dans les fossés pour laisser passer l’orage. Les bombes éclataient de tous cotés, les avions ronflaient, les balles sifflaient au dessus de nos têtes.
Quand nous avons repris la route pour arriver à Quatre_Champs, un triste spectacle nous attendait, le village était en feu et quelques uns s’affairaient à sortir les blessés des décombres. Je me souviendrai toujours de cet homme aux deux jambes sectionnées qui hurlait de douleur.

Tant que je me souvienne aussi, ce n’est pas loin de là que nous avons été séparés des attelages. Il nous fallut faire un second tri des affaires emportées et ne conserver que ce que l’on pouvait porter à dos. C’est à cet endroit, je pense que nous nous sommes égarés et avons perdu le contact avec les gens du village.
Si dans les affaires conservées dans des sacs ou valises, il y avait quelques vêtements, les couverts en argent reçus par ma mère et ma tante en cadeau de mariage, et quelques bibelots, il y avait aussi 2 bouteilles de cognac que ma grand’mère qui tenait à Margut_ un petit débit de boissons avait pris soin de glisser entre 2 serviettes et auxquelles elle tenait comme à la prunelle de ses yeux. Elle me les avait confiées et, précieusement, je les portais en bandoulière dans une musette de soldat.
De temps en temps, à sa demande, j’en sortais une du sac pour en donner une gorgée à chacun sans bien sûr ne pas m’oublier moi-même. Il n’y avait, selon ses dires, que ce remède, qui pouvait nous donner des forces pour poursuivre notre route.
C’est à quelques kilomètres de là, je crois, que nous avons abandonné au bord de la route, notre pauvre oncle handicapé prénommé Alfred_ qui, ne marchant que difficilement, ne pouvait suivre le rythme et que nous ne pouvions plus trainer. Je me suis toujours souvenu des adieux touchants faits à ce pauvre vieil oncle qu’aux dires de ma mère on ne reverrait jamais. La situation devenait critique, les bombardements redoublaient, on en était arrivé au sauve qui peut.


Perdus

Perdus sur les routes

Après avoir tourné en rond quelques jours et quelques nuits encore en repassant souvent où nous étions passés la veille, nous sommes arrivés avec bien du mal dans une petite commune du sud vouzinois appelée Liry_ dont je me suis toujours souvenu puisque c’est là qu’à son grand désespoir ma grand'mère abandonna dans un recoin de l’église les couverts en argent devenus trop lourds à porter.
Très croyante, elle pensait qu’en les déposant derrière l’autel d’une église, ils seraient protégés, que personne n’oserait y toucher et que peut-être un jour, elle les retrouverait.
C’est dans cette commune aussi, ou à proximité, que par hasard on retrouva un vieil habitant du village, lui aussi égaré je pense. Il s’agissait de Mr Irénée_Harmand notre boulanger de Margut_. Si je m’en souviens, c’est non seulement en tant qu’adjoint au maire qu’il avait quitté la commune plus tardivement que nous mais surtout, pour rester le plus longtemps possible en compagnie de son fils Paul_ mobilisé dans la casemate de Moiry_.
Heureux comme tout d’avoir retrouvé une connaissance on repartit donc ensemble en direction de la Marne_ où parait-il il y avait encore des trains en partance pour le Sud ou l’Ouest de la France.
A ce moment, on devait être dans les derniers jours de Mai et c’est là qu’on apprit avec tristesse qu’ayant franchi la Meuse_ à Sedan_ les troupes allemandes avaient pris d’assaut l’ouvrage de Villy_La_Ferté en entrainant la mort de ses 107 occupants. Je sais aussi qu’à ce moment, ma grand’mère eut une pensée pour 2 garçons de Margut_ qu’elle connaissait très bien et qu’elle savait s’y trouver : Lucien_Lanotte et Aimé_Robin.
De cette fameuse nuit je me souviens encore, qu’en marchant toujours, ma grand’mère dit en patois à Irénée_Harmand notre nouveau compagnon de route : « Irénée_, r’baille nous co une gorgée d’cognac ça nous r’baill’rait des forces », ce dont sans hésiter il s’exécuta et sortit de la musette dont il était devenu le porteur la dernière bouteille restante qu’il fallait déboucher.
Je ne sais alors, ce qui s’est passé mais toujours est t-il qu’en la sortant, elle échappa de ses mains engourdies et se fracassa sur la route, c’est là que ma grand’mère s’exclama tristement, toujours en patois : « Oh Irénée_ qu’est ce que t’es fâ t’la j’navins pu qu’ça pou nous sauver la vie ». Sans avoir avalé la dernière gorgée de cognac qui nous aurait pourtant fait le plus grand bien c’est donc avec sa seule et bonne odeur dans les narines que l’on reprit la route, une nouvelle fois.


Retrouvailles

Retrouvailles

Si mes souvenirs sont bons, c’est parfois à pieds parfois en véhicule militaire que l’on arriva enfin en gare de Mourmelon_ dans la Marne_ dans les premiers jours de Juin où, le chef de gare qui était resté en poste nous annonça qu’un wagon à bestiaux duquel on venait de descendre des chevaux allait repartir et qu’il s’agissait vraisemblablement du dernier départ de train avant la fermeture de la gare. C’était, notre dernière chance à saisir si l’on ne voulait pas être rattrapé par les allemands qui avançaient inexorablement.
Après un nettoyage sommaire et l’étendue de quelques brassées de paille dans le wagon, on s’installa donc avec quelques boites de conserves parfois ouvertes que nous avaient tendues des soldats encore présents. Nous étions une quinzaine de personnes dans ce wagon et, après une attente interminable, le train démarra enfin.
Très fréquemment, lorsque des avions allemands étaient aperçus il s’arrêtait en pleine nature et l’on descendait pour se coucher sur le talus. Le voyage a dû durer 5 à 6 jours, je ne m’en souviens plus très bien tant était grand pour moi, le besoin de dormir.
Vers le 7 ou 8 juin notre wagon qui avait suivi je ne sais quel itinéraire mais n’était pas passé par Paris_ s’arrêta dans une gare qui était celle de Niort_ par laquelle parait-il, tous les ardennais devaient transiter.
En descendant sur le quai avec les quelques bagages qui nous restaient, c’est avec stupéfaction que l’on aperçut le fameux oncle Alfred_ qui, depuis 8 jours nous a t-il dit, arpentait les quais de la gare à notre recherche ou de quelques personnes de Margut_ manquantes à l’appel. Heureux de nous retrouver, il nous confia, que devant les jours qui passaient, il avait eu pour nous les plus grandes inquiétudes et nous raconta, qu’au bord de la route où on l’avait abandonné, il avait été pris en charge par des militaires qui, d’étape en étape l’avaient amené à Chef_Boutonne où tous les gens de notre village devaient être regroupés.
Après embrassades traditionnelles, c’est donc sous sa bonne garde qu’un camion civil ou militaire je ne sais plus très bien, nous amena à destination à Chef_Boutonne ; un nouveau voyage qui lui aussi, nous paraissait interminable.


Fin du chemin

Fin du chemin

À l’arrivée, un comité d’accueil dans lequel figurait un habitant de notre commune arrivé vraisemblablement dans les premiers jours nous attendait et nous dirigea dans un établissement s’apparentant à une maison de retraite, s’appelant les Feuillantines_. Il s’agissait d’une résidence provisoire et il nous appartenait maintenant de chercher un autre gîte.
Après la visite du docteur du lieu, dont je ne me souviens plus du nom mais qui ne me trouva pas en excellente santé, on nous servit enfin notre premier repas chaud. C’était le premier que l’on prenait depuis près d’un mois. Ce repas était à base d’un légume inconnu pour nous dont on découvrait les saveurs et qui, on l’apprit rapidement s’appelait mogette [haricot blanc]. Au fil des jours, il allait devenir notre plat quotidien accompagné généralement d’un fromage de chèvres qu’inconnu dans les Ardennes, on appréciait beaucoup. C’est ce jour là aussi que l’on put disposer pour la première fois depuis un mois, d’une cuvette d’eau et d’un morceau de savon pour se décrasser mains et visage.
Quelques jours se passèrent ainsi entre visite du pays, soupe populaire prise midi et soir dans un établissement communal et recherche de parents ou personnes de connaissance réfugiées comme nous à Chef_Boutonne ou dans les alentours.
C’est au cours de ces journées qui ont suivit, soit 4 ou 5 jours après notre arrivée que l’on vit défiler au pas cadencé, dans le village, les troupes allemandes vêtues de vert et armées jusqu’aux dents. Ma grand’mère, qui avait déjà fait connaissance lors de l’occupation des Ardennes en 14/18 de « ces verts de gris » comme elle les appelait, ne put que s’exclamer : « c’est toujours les mêmes, ils n’ont pas changé » et bien vite, on rentra à la maison tant on avait peur de ces sauvages venus d’ailleurs qui nous avaient chassé de chez nous.
Pourtant, la veille au soir, c’est très naïvement que l’on avait cru qu’ils ne passeraient pas, puisque 3 soldats français, couchés sur leur mitrailleuse s’étaient postés à l’entrée du pays pour leur barrer la route. Ce n’était qu’illusoire car à l’arrivée des blindés, c’est très rapidement qu’ils avaient déguerpi.


Premières semaines à Chef_Boutonne

Premières semaines à Chef_Boutonne

Une ou deux semaines se passèrent ainsi jusqu’à ce que la vie reprenne un cours à peu près normal.
Nous n’avions que de très rares nouvelles de notre village à l’exception de celles que quelques soldats venant de la ligne Maginot avaient pu nous rapporter. Nous savions que Margut_ avait été en partie détruit lors des combats de Villy_La_Ferté, que notre maison était restée debout mais entièrement pillée et saccagée, que les casemates de Margut_ de Moiry_ et de Sainte_Marie sur lesquelles tous les espoirs étaient encore fondés quelques semaines auparavant étaient à l’abandon, mais le suspense demeurait quant au sort qui avait été réservé à leurs occupants. Étaient-ils vivants, morts ou prisonniers, personne ne le savait et pour beaucoup de familles, c’était l’angoisse la plus complète.
Ma grand’mère qui, comme elle le disait en avait vu d’autres avait, dans tous ces événements, conservé un bon moral et remontait celui de son entourage comme elle pouvait. L’espoir de revoir notre pays qu’elle conservait depuis le premier jour fut décuplé à l’écoute le 18 Juin de l’appel du général De_Gaulle qui, redonnant espoir apparut comme le seul homme pouvant sauver la France. Inutile de dire que chaque soir, nous n’aurions manqué pour rien, l’émission diffusée sur les ondes brouillées de la BBC : « Ici Londres_, les Français parlent aux Français »
Par l’intermédiaire de la mairie, nous avions trouvé une petite maison de 3 pièces où l’on put se loger à 5. Elle était située dans le virage de la route conduisant à Loubigné_ et appartenait à la famille Guilbot_ dont le père, je suppose, était marchand de TSF car de nombreux postes avec lesquels on s’amusait, étaient entreposés dans le grenier.
Bien vite on lia relation avec nos voisins, il y avait ceux de la maison d’à coté, une brave famille qui s’appelait Langereau_ et dont un fils Guy_, d’à peu près mon âge, me faisait partager ses jeux en m’emmenant très souvent jouer à cache-cache dans les vignes voisines. Il était devenu mon meilleur petit copain, je ne l’ai jamais revu.
En face, une maison aux murs recouverts d’ardoises abritait une autre famille dont j’ignore s’il s’agissait de réfugiés ou de gens du pays. Ce que je sais, c’est que dans cette famille il y avait une jolie fillette de mon âge que j’admirais énormément. À quelques pas aussi, il y avait des amis de longue date de ma grand’mère, Mr et Mme Gaston_Goffinet, réfugiés comme nous à Chef_Boutonne.
A Chef_Boutonne notre instituteur Mr Denis_ était aussi arrivé et avait rouvert une classe dans un local municipal à l’intention de ses anciens élèves. Ce local était situé sous de gros marronniers.
L’abbé Marin_, notre curé avait suivi le même chemin que ses paroissiens et chaque dimanche et même plus souvent il disait sa messe dans l’église de Javarzay_. Une messe que l’on n’aurait jamais manquée car c’était pour tous une occasion unique de se retrouver pour échanger de bonnes, mauvaises ou fausses nouvelles.
Chaque jour aussi dans les rues de Chef_Boutonne l’appariteur passait avec sa cloche pour crier les dernières informations. C’est lui qui nous indiquait les rares distractions auxquelles on pouvait assister, le ravitaillement auquel on pouvait prétendre, sans oublier de nous communiquer les instructions des autorités allemandes auxquelles on devait se soumettre. Chaque fois, en fin d’annonce, il terminait par ces 5 mots : « Signé : Le Maire Raymond_Diez (NDLR: il s'agit en fait de M. Rémondière Alexandre) », on avait plaisir à l’écouter et pour rien on ne l’aurait manqué.


Le temps passe

Le temps passe à Chef_Boutonne

Habitués à la campagne, beaucoup de choses nous manquaient, je m’ennuyais après nos animaux vache poules lapins etc. et, pour me distraire mais aussi pour nous occuper, ma grand’mère était allée avec moi-même au marché voisin acheter 4 poules et un coq que l’on avait installés dans la courette de la maison.
Pour les nourrir, nous allions glaner le blé ou l’orge dans les champs avoisinants et c’est, toutes reconnaissantes que nos braves poules nous offraient chaque soir un bon œuf à la coque. J’ajouterai même qu’après notre retour dans les Ardennes, ma tante qui était restée quelque temps de plus que nous à Chef_Boutonne nous les avait expédiées à Margut_ par voie ferrée où, chaque jour, malgré leur dépaysement, elles ont continué à pondre leurs bons œufs roux, ô combien appréciés. Je me demande encore comment elles ont pu survivre à un tel aussi long voyage.
Parmi nos distractions, il y avait aussi ces longues sorties à pieds les dimanches après-midi dans les campagnes voisines pour rendre visite à des parents ou amis. C’est ainsi qu’à Fontenille_ nous allions voir mes grands parents paternels venant de Moiry_, à La_Bataille c’était à une vieille tante de 99 ans venant d’Herbeuval_, à qui on allait rendre visite, à Couturette_, c’était à des amis venant comme nous des Ardennes.
Petit à petit, le temps passait et on commençait à s’habituer à notre nouvelle vie tout en pensant chaque jour à notre pauvre village de Margut_ livré aux mains de l’envahisseur.
De nombreuses questions trottaient dans nos têtes. Dans quel état était la maison que l’on savait ouverte aux quatre vents ? Les pommes de terre plantées la veille de l’évacuation étaient-elles levées ? Y avait-il déjà des gens de retour à Margut_ ? Pourrions-nous y retourner un jour ? Si oui y avait-il à manger ? Comment se comportaient les allemands en zone interdite car on savait que Margut_ s’y trouvait ce qui signifiait, qu’au cas où l’Allemagne gagnerait la guerre nous deviendrions allemands.
Bien d’autres questions encore demeuraient sans réponse.


Retour

Retour à Margut_

Par le bouche à oreille, on apprit un beau jour, que les agents de la SNCF étaient autorisés à rentrer avec leur famille pour remettre les voies en état. Cette information trotta vite dans la tête de ma grand’mère qui se souvenant d’un employé de la gare de Margut_, dont j’ai oublié le nom, décida de lui écrire par une poste qui commençait à se remettre en marche. Toujours par correspondance, ce brave cheminot qui était un ami accepta de venir nous chercher en nous faisant passer pour des membres de sa propre famille. Lors du contrôle de patrouille allemande en gare de Langres_ où passait la ligne de démarcation, il présenta ses papiers et, nous montrant du doigt prononça ces 2 seuls mots : « Alles familie », auxquels les allemands répondirent par un seul : « Gut », ce qui nous suffisait car ça y était bien, la ligne de démarcation était passée et il ne devait plus normalement y avoir d’embûches pour rentrer chez nous.
Le 20 Septembre 40, je m’en souviens, car il est inoubliable, c’est en sa compagnie que ma mère, ma grand’mère et moi-même nous reprîmes un autre train en direction des Ardennes_ avec le minimum de bagages que nous avions emportés.
Après 2 jours de voyage encore on arrivait enfin en gare de Margut_ pour retrouver notre village à moitié détruit, les maisons restées debout pillées ou saccagées, des animaux errant dans des rues encombrées de détritus de toute sorte. Etc. etc. Une vingtaine de personnes seulement nous avaient déjà précédés.
C’est ainsi que pour nous, l’exode prit fin. Voici ce qu’il m’en reste comme souvenirs. Mais après ce 22 Septembre 40, tout n’était pas terminé pour nous. Quatre années d’occupation nous attendaient encore et il fallait attendre le 22 Septembre 44 pour enfin voir la fin du cauchemar et retrouver la liberté.
Pour ce qui nous concerne, j’ajouterai que contrairement à d’autres nous n’avons nullement à nous plaindre de l’accueil que Les Deux_Sèvres et principalement Chef_Boutonne nous ont réservé. Nous avions bien compris l’effort fait par une commune de cette taille pour accueillir, en quelques jours, près de 800 réfugiés qu’il fallait loger, nourrir et même parfois vêtir ce qui à l’évidence ne devait pas être chose facile. Il faut aussi savoir que le comportement de certains réfugiés n’a pas toujours été des plus exemplaires.
Personnellement, avec le recul du temps, je pense que les ardennais doivent un grand merci à leurs hôtes qui ont su les aider à surmonter leur désarroi dans une période particulièrement pénible.
Une période que ne peuvent oublier tous celles et tous ceux qui l’ont vécue mais qui, malheureusement, 70 ans après, sont de moins en moins nombreux.


Remarque

Remarque

Comme j'ai (R.Cima) cherché à en savoir plus sur les conditions dans lesquelles les réfugiés avaient été accueillis à Chef_Boutonne, en 1940, j'ai donc pris contact avec la municipalité de cette petite ville. Ce qui m'intéressait : les délibérations du Conseil Municipal qui ne devaient pas manquer de faire état des éventuels bouleversements dans la vie quotidienne de ses concitoyens.

Monsieur Christian Beaudoin, responsable du site du Château de Javarzay (splendide témoin de l’architecture de la Renaissance -à visiter-) à Chef-Boutonne, m'a aimablement répondu ce qui suit, et je l'en remercie :
«Monsieur,
Après avoir consulté les registres de délibérations du Conseil Municipal, je suis surpris de n'avoir rien trouvé au sujet de l'arrivée des réfugiés Ardennais.
Il faut dire qu'à cette époque, n'étaient indiquées dans ce registre que les grandes décisions et que tout était mis en place au jour le jour directement sur le terrain.
Je vous joins deux articles récents du journal "la Nouvelle République du centre ouest" sur lesquels vous trouverez des renseignements sur l'Association des Ardennais des Deux-Sèvres et sur son président qui collecte de nombreuses informations qui pourraient peut-être vous intéresser.
Le maire de l'époque ne s'appelait pas Raymond Diez mais Rémondière Alexandre, ce qui à l'écoute faisait le même résultat.
Je suis désolé de ne pas pouvoir vous apporter plus d'information mais je reste à votre disposition pour tous renseignements complémentaires.

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Le château de Javarzay


Quelle curieuse idée, pour ce Conseil Municipal de l'époque, de ne pas avoir délibéré sur un sujet si bouleversant !
Pour en savoir plus...
Etc.

Pour en savoir plus...

Etc.

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Commentaires d'internautes

23-11-2015. Cher Monsieur. J’apprécie toujours la valeur des « nouveautés » de votre site dont vous me faites part régulièrement. C’est un magnifique travail de mémoire que vous réalisez et qui doit vous demander bien du travail ! ! ! Et je vous prie de m’excuser de ne pas toujours vous répondre. Je viens de lire avec grand intérêt le récit de cet exode de 40 par un gamin de 8 ans. Vous en remercierez l’auteur. Que vous dire si ce n’est que la chair de ce récit sent tellement le vécu ? J’ai regretté cependant que le texte ne soit pas émaillé de photos, même d’archive. Bravo encore pour votre « E-générosité » qui nous permet de vivre les moments si douloureux vécus par nos anciens. Très cordialement. Pascal B.

25-11-2015. Un tres grand merci. C'est un texte remarquablement écrit, captivant, plein de fraicheur, et finalement très positif. Chapeau! Jean F.

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